L'aimable Charles Monselet

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L'Aimable Charles Monselet

Les belles filles de Nantes (car toutes les filles de Nantes sont belles,si l'on en croit une vieille et célèbre chanson), des écrivains, des gastronomes et même, peut-être, des académiciens fêtent, ces jours-ci, Charles Monselet. On ne saurait trop les en féliciter, Charles Monselet était un poète aimable, tout d'esprit, qio écrivain bien, narrait savoureusement, mangeait avec componction et buvait avec discernement. Au demeurant, un fort honnête homme, et, par surcroît, un homme gai.
Pour le Physique, le voici : court, dodu, charnu, rondouillet, gras et fin, avec une tête fort intelligente et des yeux pétillants de malice derrière les lunettes. Ses lèvres étaient fines et sensuelles. Elles rappelaient celles de VOltaire à l'âge de trente ans. On les devine tout de suite friandes de bons mots et de bons plats. C'est que notre écrivain fut quasi célèbre à cause de ses compétences gastronomiques. La bonne chère l'inspira délicieusement. Si Grimod de la Reynière, toujours affamé, est le Rabelais de la cuisine, si Brillat-Savarin, plus fin et plus sentencieux, en devint le Boileau, Charles Monselet, lui, en reste le La Fontaine.
Or, La Fontaine chanta les animaux. Monselet fit de même. mais il ne choisit que ceux dont la chair est suave. Et il vous les sert dans cette galimafrée que sont ses poésies gastronomiques. C'est à la fois moelleux, fondu, attendri de beurre frais, parfumé de vieil armagnac, et relevé d'épices. Les narines frémissent de joie, les lèvres se tendent de gourmandise, la fourchette, au bout des doigts, frétille d'impatience. Savourez le menu d'un réveillon improvisé :
Accourez, huîtres de Marennes
Reines !
Qui dit haïr cet aliment
Ment
S'il a pris deux de leurs douzaines
Saines,
Que redit Messire Gaster ?
« Ter ! »
La carpe à la C'hambord m'appelle
Elle
Eclipse tous vos sots goujons,
Joncs !
Sors du mouton qui te recèle,
Celle ;
Et de ta blonde béchamelle Mêle
Son jus aux ris des plus nouveaux
Veaux.
Maintenant, faites silence, et fermez les yeux béatifiquement. Voici que Charles Manselet présente tour à tour l'andouillette qui, sur le gril. siffle, crève, larmoie, les cèpes à la bordelaise, rehaussés d'ail haché fin et dorés dans l'huile d'olive ; la purée Crécy où tant de légumes doivent être frappés d'estre et de trille, et mis en pièces. pour composer un potage réputé ; le homard, monstre rouge, le Borgia des mers ; et surtout le philosophe indolent et pansu, l'animal roi, dont le frère en miniature sommeille souvent dans le cœur des hommes : le cochon :
Car tout est bon en toi, chair, graisse, muscle, tripe !
On t'aime galantine, on t'adore boudin.
Ton pied, dont une sainte à consacré le type,
Empruntant son arôme au sol périgourdin,
Eut réconcilié Socrate avec Xantippe.
Voilà le ton. Il est charmant. Charles Monselet badine et nous partageons, avec sa bonne humeur, son bel appétit. On serait sot d'en rougir. Depuis les temps les plus reculés, un galant homme s'est toujours, doublé d'un parfait gourmet. Jouissance de bouche n'est que péché véniel., Ne craignons donc jamais le bien manger et ne méprisons pais le bien boire.
J'ai eu l'occasion, Voici quelque temps, de conter l'histoire d'un homme. grand amoureux des vignes du Seigneur, qui connaissait les cent et une façons de boire. Il buvait au verre, au gobelet, à la peau de bouc, au goulot, au robinet, et il buvait de façons fort différentes : assis, debout, courbé, à plat ventre et sur le dos, Il buvait chaud, tiède, bouillant. au naturel ou aromatisé. Il lui importait, peu. Pourvu qu'il levât le coude et sentît du liquide descendre dans son gosier, tout lui était bon.
Sans doute, Charles Monselet ne se livrait pas à une telle gymnastique, encore qu'aucune boisson ne lui fut étrangère. Il ne les aimait pas toutes également mais il les chantait toutes. D'abord le vin : chenu, dépouillé, sec ou doux, frais ou chambré, à belle robe cardinalice ou violette, de Bordeaux, de Bourgogne, de Saumur ou d'Espagne, doux, mousseux ou cuit, toujours délectable, et tel dans la gorge qu'on y croit sentir descendre le « Bon Dieu en culotte de velours". Ensuite, le café, qui se sert bouillant dans de vieux Sèvres ; le thé, vert ou noir , qui rappelle les sandwichs, Tennyson et la Bible ; le punch, jovial incendie, l'absinthe ; le genièvre, la bière, le cidre, le manzanilla, et même le lait. Tout ce qu'on boit fait son affaire et le dirige vers les comptoirs doublés de zincs. Même l'eau :
Je fuis l'averse passagère,
Et ma voix au timbre suret
Chantonne : « Il pleut, il pleut, bergère ;%% Entrons bien vite au cabaret ! »
Comme on le voit, Charles Monselet se moque un peu et de nous et de lui-même. Cet écrivain, qui écrivit des milliers d'articles et qui ne s'endormit pas toujours sur des lits de roses, savait cacher ses peines sous un indulgent sourire. Ce sourire ne l'abandonna jamais. On le retrouve jusque dans son épitaphe :
Verse sur ma mémoire chère
Quelques larmes de chambertin :
Et. sur ma tombe solitaire.
Plante des soles... au gratin !
Pourtant, cet homme aimable, indulgent, moqueur, fantaisiste, poète, gastronome et chroniqueur étincelant, était fort honnête. Une anecdote, en terminant, vous montrera la valeur d'âme de Charles Monselet :
Vers 1860, le roi d'Italie, Victor-Emmanuel, voulant se distraire entre deux chasses à l'isard, fit demander en France un roman quelque peut vif, c'est-à-dire fort égrillard. On commanda. ce livre à Monselet, en lui! promettant, outre une grosse somme, le secret le plus absolu. Or, Charles Monselet n'était pas riche. Il flaira l'argent offert et lui trouva une odeur peu alléchante. Tout net, il refusa d'écrire la polissonnerie demandée.
Nous en connaissons, aujourd'hui, qui auraient moins de scrupule.
Andiu; Lamaxdé
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Floréal, 27 octobre 1923

Illustration du billet : Armand Actman (?).

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