Vieilles lunes (1)

sixflouvgen.jpg



Nous inaugurons ici une série qui sera consacrée aux vieilles lunes, c'est-à-dire aux bonnes idées qu'on nous ressert de temps en temps, plus ou moins renouvelées ou à peu près. Ce matin : la cité des poètes. (La prochaine Vieille Lune sera consacrée aux festivaux). (Peut-être).




Six-Fours, la Cité des Poètes

Il y a un an que j'ai fait ce rêve : doter la Poésie de sa première ville libre; un lieu, d'asile où nos frères en littérature las de Paris et de ses tristesses viendraient se retremper dans la lumière méditerranéenne et connaître l'âme de la Provence. Quelque chose de comparable à ce qu'était la Chartreuse de Montreuil-sur-Mer avant la guerre, mais en plus vaste. Lieu de repos d'abord, plus tard, lieu de retraite.
L'idée m'en était venue, non pas en écoutant chanter le rossignol, mais en contemplant tous les soirs, plaqué contre les teintes de jade du couchant Six-Fours, ses ruines et son fort éclairés des derniers rayons de soleil.
Il y avait là, face à Toulon, à quelques pas à peine de la Seyne, sur cette colline admirable dont la silhouette dans le soir lunaire fait penser à quelque estampe japonaise, un village entier veuf de ses habitants, qui l'avaient déserté attirés par les villes tentaculaires, une petite cité endormie comme si la fée de la Belle au bois dormant l'avait touchée de baguette. Les pierres tombaient, les murs se lézardaient et nul n'était là pour jouir de ce calme et de ce panorama unique, pour s'enivrer de mistral et de beauté ; pour veiller sur les chefs-d'œuvre accumulés dans la basilique de Saint- Pierre-ès-liens, ce sanctuaire des premiers âges apostoliques, où il y a des statues, de Puget, des toiles du Pérugin et d'uniques polyptyques gothiques que le temps et la pluie achèvent de ruiner, bien que Six-Fours soit classé comme monument historique - ou peut-être à cause de cela.
Le curé de ce petit bijou, un curé comme on n'en voit qu'en Provence et dans les Lettres de mon Moulin m'avait dit avec des larmes dans la voix, un soir que j'avais fait l'ascension de la colline à travers la forêt embaumant la lavande, la résine, le pèbre d'aï et striée de l'inlassable chant, des Cigales :
— Hélas! qui rendra la vie à mon petit Six-Fours ?
Et je lui avais répondu, mû par une soudaine instpiration :
— Mais les poètes, mon cher curé, les poètes qui font peut-être gras le vendredi (sauf lorsqu'ils font maigre toute la semaine), mais qui composent des Psaumes et chantent tout ce qui est beau. Laissez-moi les amener à Six-Fours et vous verrez comme la Belle au bois se réveillera vite !
— Ah - Si vous disiez vrai, avait-il mélancoliquement soupiré.
Et en m'en retournant à Toulon par le tramway de la Seyne, je m'étais à mon tour demandé : pourquoi pas ?
J'avais fait part de notre conversation à notre confrère Gaston Picard, l'idée lui avait paru séduisante et à quelques jours de là un article paru sous sa signature exposait (officiellement, pourrait-on dire) notre projet : faire de Six-Fours l'abandonnée la cité des Poètes.
Toute la presse le reproduisit. D'aucuns en faisant des réserves sur les possibilités matérielles de réalisation, d'autres avec une pointe d'ironie, tous avec sympathie.
Mon curé était aux anges et devait guetter l'arrivée de la diligence pour voir si les poètes commençaient à débarquer.
Mais nous n'en étions pas encore là. Il nous fallait l'appui de nos amis, pour mener à bien notre œuvre ; leur appui moral surtout et leur autorité pour nous permettre de traiter en ambassadeur de la poésie française. Nous fîmes appel à leur concours. Tous, à quelques rares exceptions près — ne les nommons pas — nous entendirent.
J'ai leurs lettres sous les yeux et je pique au hasard.
« Vous avez eu là une idée admirable », écrit le chantre de la Savoie, le maître romancier Henri Bordeaux.
Et Henri de Régnier d'ajouter : « Je souhaite à votre œuvre, tout le succès qu'elle mérite ».
Voici René Boylesve qui nous dit les mains tendues : « Je suis des vôtres » et Lucie Delarue-Mardrus qui l'imite en ajoutant d'un ton romanesque pourtant : « Six-Fours pour les poètes, c'est cinq de trop ».
(Eh! Madame, n'avez-vous pas écrit l'Histoire de six petites filles? Envoyez-les nous, chacune aura son four pour y porter sa galette !)
Voici Colette qui, en. nous envoyant son « enthousiasme et son appui », nous assure « qu'elle sera bien capable de nous fournir aussi les poètes infortunés » et à ses côtés Paul Fort dont la lettre est un élan de l'âme : « Votre projet est un pas vers la justice et l'honneur qu'une grande nation doit aux poètes, aux artistes, ses miraculeux et désintéressés enfants de qui elle tient sa plus belle gloire. Vous aidez la France à faite son devoir, la France devrait vous aider ».
Mais comment les nommer tous ? Voici Charles Le Goffic, Charles Derennes, Marius Jouveau, Capoulié du Félibrige, Philadelphe de Garde, glorieuse poétesse de langue d'oc, A.-P. Garnier, André Lamandé, Emile Ripert, etc., tous n'ayant qu'une même pensée : réaliser la Cité des poètes, fonder ce havre pour leurs frères en poésie. Mais il ne suffisait pas de faire un rêve. Qu'aurions-nous fait si nous nous étions heurtés à une mucipalifé comme il y en a tant, hostile à tout ce qui est Art et considérant les poètes comme des fous, peu dangereux il est vrai, mais totalement inutiles ? Aurions-nous réédité le coup de force de Fiume et été prendre Six-Fours d'assaut? Hélas! les temps ne sont plus où les murs tombaient au son de la trompette et où les pierres se mettaient en mouvement aux accords de la lyre ! Dieu merci, nous n'eûmes pas à en arriver là.
Il s'est trouvé un homme — le maire de Six-Fours — pour comprendre toute la portée de notre projet, il l'a accepté, il l'a fait sien et l'a présenté à son Conseil et ces hommes, des paysans pour la plupart (mais ici les paysans savent Mistral par cœur) lui ont donné raison et lui ont répondu : « Les poètes demandent Six-Fours ? Eh bien dites-leur que Six-Fours est à eux. que nous le leur donnons. Mieux, que nous allons le faire reconstruire, nous sommes fiers qu'ils aient pensé à nous de ce jour Six-Fours est leur cité ».
Et cet homme dont je livre le nom à la reconnaissance de tous nos frères de lettres : M. Fischer, m'écrit pour m'annoncer la bonne nouvelle. et à mon tour. je dis à tous les poètes de France : « Aidez-nous ».
Notre but est simple.
Il y a trop de poètes à Paris qui souffrent de la lutte pour la vie et qui, par les soirs d'hiver, rêvent de s'évader vers les pays bleus.
Mais à moins d'être millionnaire.
Il y en a qui en sont morts. Faut-il évoquer l'ombre de M. Léon Deubel ?
Nous pensons à ceux qui restent.
Six-Fours reconstruit sera pour eux, il n'y aura ni hôtelier, ni mercanti. Ce sera la « Cité des poètes ».
Ceux qui voudront venir feront une demande au Comité et selon les disponibilités resteront huit jours, quinze jours, un mois.
Sont-ils de ceux qui connaissent les gros tirages ou qui viennent de toucher un prix (de nos jours cela arrive !), ils paieront alors leurs frais de séjour. Sinon (et ce sera dans la plupart des cas) nous ne leur demanderons rien et nous prendrons même à, notre charge leurs frais de voyage. Pour cela, il nous faudra évidemment de l'argent. Mais est-ce être trop optimiste que de ne pas douter du cœur des écrivains arrivés et du grand public à qui nous ferons appela Nous ne le croyons pas.
Plus tard, notre rêve serait de faire de Six-Fours, une cité de retraite, sorte de Point-aux-Dames, et de Ris-Orangis, où les vieux poètes "blanchi" sous le harnais et plus riches de rimes que d'or, n'est-ce. pas, ô cher et grand Maurice du Plessy (sic) ? couleraient tranquillement leurs derniers jours, entourés de leurs jeunes confrères et sans souci du lendemain.
Pour aujourd'hui nous nous en tenons à notre premier projet. Il est noble, il est beau, qu'on noble aide à le réaliser.
- Là-bas sur sa colline il y a une petite cité qui voudrait revivre. — Trois habitants se partage ses ruines et dans l'immense fort désaffecté qui se découpe tout blanc contre le bleu du ciel, il y a seule garnison un petit créole qui charme ses loisirs en jouant de la flûte à une chèvre plus noire que lui.
Chaque jour un vieux curé va attendre la diligence. A quand pour lui le bonheur de s'entendre dire par un voyageur :
— Le chemin de Six-Fours, s. v. p., Monsieur le curé ? Je suis poète français et je viens annoncer les autres.



Charles de Richter

Floréal, 13 octobre 1923.


NB L'article original s'enorgueillissait de deux hublots photographiques :
1/La Basilique vue du coté de la mer et montrant la forme caractéristique du clocher.
2/ Une vue des maisons en ruines et des restanques éboulées.


Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page