Valentine de Saint-Point par Mario Meunier (1908)

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Voici ce qu'écrit en 1908 Emile Sicard dans les pages de la revue, Le Feu :

Le Caire est une ville très attirante. La futuriste Valentine de Saint-Point s’y est même installée sous son identité musulmane de Raouhya Nour-el Dine.

L'information est bonne et c'est pour annoncer la prochaine parution d'un article du jeune Mario Meunier (1880-1960), futur helléniste et pythagoricien, brillant essayiste que l'on sait, alors co-fondateur avec Francis de Miomandre, Edmond Jaloux et Valère Bernard du Feu.
Cet article, typique de la manière dont on évoque à cette époque la poésie, est une sorte de mausolée des points d'attention d'alors. Les critiques de la poésie d'aujourd'hui feraient bien d'y jeter un oeil pour tâcher de découvrir leurs propres ornières, celles qui faisaient écrire, par exemple, "Mme de sont-point fera de son oeuvre la synthèse eurythmique de son aristocratie".



Une petite-nièce de Lamartine
Valentine de Saint-Point

Mon coeur ardent frissonne et tremble de désir
S'arque vers l'inconnu, garde de toutes fièvres




Avec la fleur de la jeune, Valentine de Saint-Point possède le coeur orageux d'un Titan et l'âme exaltée d'une antique Ménade. Ardente, sensuelle, intellectuelle et mystique, elle prolonge, dans la veulerie de nos temps, l'écho lointain des furieux dionysiaques. Brandissant le thyrse animateur de l'orgueil et la torche incendiaire des passions révoltées, précipitant l'élan guerrier de ses transports dans l'opaque de notre nuit éternelle : elle "hurle la terreur de son âme énergique, traîne comme un fardeau sa force qui s'élance". Les effetsmystérieux de l'obscur : les aspects fantastiques de rochers et des arbres que les Hyades du rêve inondent de clarté : les musiques effarantes des cymbales, des flûtes, des sistres vociférant la symphonie discordante des mondes, exaspèrent, crispent et portent l'exaltation et le délire de cette enthousiaste Bacchante, jusqu'aux vertiges de l'extase, jusqu'aux éblouissements de la mort. Mais, les prostrations et les défaillances de cette nature aux écoutes incessantes de l'inconnu ne peuvent être qu'un sommeil intensificateur de son appétence infinie de sensations, de pensées, d'ardeurs inéprouvées. Ardant, comme l'héroïne de son "Agonie de Messaline", de toutes formes de vie joyeuse ou douloureuse, torturée de ne pouvoir s'épuiser, irrassasiée et inquiète elle s'écrire :
Jusques à la Mort, Vie, emplis mon oenophore :
Et moi, ivre d'amour, les narines ouvertes,
Les seins dressés vers toi, je te crierai : Encore !
L'âme de Mme de Saint-Point brasille toutefois, d'une ardeur plus synthétique que celle d'une "orgiaque bacchante, aux sanglots éperdus, aux grincements de dents". Initiée aux ivresses des sens convulsés, elle goûte par surcroît, le vertige de la pensée profonde, la volupté douloureuse du coeur. L'"Inconnu" fascine la surhumaine avidité de son être : mais, loin de tremble devant l'inconnaissable, elle surplombe sans espoir et sans peur, l'abîme qui l'attire. L'infini la tourmente : mais elle se donne le change en aimant infiniment la Beauté. La douleur l'angoisse, et elle triomphe de ses affres par l'auguste sérénité de son acceptation faite, comme celle de Vigny, "d'un désespoir paisible, sans convulsion de colère."
TElle, dans son premier volume : "Poèmes de la Mer et du Soleil", m'apparaît déjà cette femme. Petite-nièce de Lamartine, née en Méditerrannée, Mme de Saint-Point Charrie dans ses veines l'indéfectible passion et la sentimentalité brûlante du chantre de "Jocelyn". L'un et l'autre, planant au-dessus des vulgaires médiocrités de l'existence, se sont fait une noblesse de l'orgueil ; l'un et l'autre aiment et adorent la nature jusqu'à défaillir sous la caresse de brises, jusqu'à se bercer dan le violence d'un vent dominateur et communier fermement les forces élémentaires (sic). Néanmoins, à l'idéalisme sentimental de Lamartine, Valentine de Saint-Point ajoute : l'exaspération de notre fiévreuse modernité, la profondeur désenchantée de Vigny, la voluptueuse amertume de Baudelaire, et la vigueur tourmentée de cet Auguste Rodin sur le génie frémissant duquel, cette même femme écrivit des pages d'une teneur esthétique lumineuse et profonde.
Pour orchestrer une aussi complexe synthèse, pour rythmer une telle profondeur de vertige, la petite-nièce de Lamartine s'est créé une poétique d'une mâle vigueur, d'une spontanéité sibylline, d'une hermétique et mallarméenne inspiration. Dans les poèmes où corps à corps elle étreint sa pensée, resserre son sentiment : "Hymne au Soleil", "Hymne à la Mer", "Les lions captifs", etc. le poète fait preuve d'une rare don d'objectivité phonique. Mettant à nu la douleur ou la volupté de son être, elle vocifère sa pythienne exaltation sur un rythme brutal, saccadé, crispé et guttural. En dépit des heurts voulus, des hiatus forcés, sa fière indépendance sait trouver quelquefois, une orchestration adéquat aux innombrables dissonances d'une âme dont la sérénité est fait, du choc acheté et de la fusion consciente de multiples contraires.
En se débarrassant de plus en plus, des routines et des entraves pour donner libre cours à la musique intérieure d'un verbe qui n'a pas encore extériorisé comme le mérite, l'harmonique poésie de sa pensée : Mme de sont-point fera de son oeuvre la synthèse eurythmique de son aristocratie. Ses "Poèmes d'Orgueil" marqueront une étape nouvelle dans la voie que poursuit âprement sa palpitante sincérité littéraire, franche parfois jusqu'à la brutalité.
Mais, ce n'est pas seulement dans les rythmes bachiques de ses vers qu'il faut admirer l'exubérante jeunesse, l'audacieuse beauté et la force ardente de Valentine de Saint-Point : c'est dans sa prose surtout. Là, décortiquée des césures, des rimes et des formes conventionnelles de poésie, elle donne champ libre à son imaginative, à son infatigable halètement vers l'infini, à son indomptable volonté de vie large et pleine.
(à suivre : IMG_6875.jpg).


Mario Meunier "Une petite nièce de Lamartine. Valentine de Saint-Point", Le Feu (directeur Emile Sicard, 2 Boulevard Mérentié, Marseille). 4e année, 1er avril 1908, n° 38.


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