Tables, autels, coffres et autres femmes nues

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Jacques Géraud appartient à cette catégorie d'auteurs qui a compris que le siècle XXI, et depuis quelques décennies (sic), n'est pas celui du gros roman qui fâche. Avec les fragmenteurs, les collagistes et les aphoristiciens, il tente d'autres voies, et en particulier celles, multiples, du détournement, en dérapage contrôlé, et, dans une saine irrévérence, du plasticage des statues. Semblables aux fruits de son blog Géronimots, ses écrits corroborent l'idée que le billet de blog produit des livres fameux. Pour peu qu'on investisse dans les coffres, les tables à repasser ou les voitures et que l'on dispose de quelques femmes nues.
Dans son "photoroman", et un peu à la manière du gourmand Pierre Desproges légendant sans fin une sempiternelle scène, Jacques Géraud a choisi quarante-sept images — photographies et reproductions d’œuvres — qui lui ont inspiré autant d'historiettes plaisantes.
Un certain auteur de la maison Harlequin, qui ressemble à s'y méprendre à Faulkner, s'y noie dans un bain de sang pour avoir laissé la bride sur le cou à sa perversité, Sartre y est conduit au mariage avec la Beauvoir — et accessoirement à remplir à la perfection son rôle de patron de café —, le christ y porte sa croix pour rejoindre le spot où il pourra surfer et Kafka y occupe un poste d'essayeur de melons. Quant à la Duras... Comment pourra-t-on jamais entraver sa multiplication nocturne ? se demande Jacques Géraud... Remarquez ce que la question a de grave.
Le monde littéraire est l'une des cibles de prédilection de Géraud, qui se surpasse lorsqu'il est question de papier broché ou relié. L'un des textes les plus réussis du reste est celui où Il peint MM. Gérard et Georges, employés de la grande maison d'édition, dans l'enthousiasme de leur tri d'auteur destinés à la "rentrée littéraire" (1). Vous vouliez du naturel, en voilà.
Ce "Photoroman en 47 légendes" nous offre une excursion en terre de malice. Une escapade délicieuse où les finesses et dérèglements de Géraud procurent vraiment de la joie, et ses longues phrases au loufoque bien tempéré un pur délassement.
Qui oserait encore nous bassiner avec un roman à thèse/à l'eau de rose/à l'américaine après ça ?


Jacques Géraud Photoroman en 47 légendes. — Seyssel, Champ Vallon, 160 pages, 16 €



(1) A tous les apprentis-auteurs : oui, en effet, c'est bien comme ça que cela se passe.

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