Râle d'Arthus Sigré

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Râle

Madame la Mort, je frappe à votre porte :
J'ai laissé, là-bas, au tournant, mon escorte
De misères. Ouvrez-moi, Madame, ouvrez.

De beaux séraphins noirs qui m'ont rencontré
M'ont dit que chez vous on ne souffrait jamais,
Que des fleurs, prises à d'admirables Mai,
Exhalent avec des douceurs de caresse
D'étranges et puissants parfums, chargés d'ivresses
Et de rêves, en des sommeils éternels,
Sans que jamais une vision charnelle
Se présente à l'albe couche de Madame.

Le vent va souffler ma très mignonne flamme
De vitalité : j'ai peur, j'ai froid dans l'âme,
Déclouez l'huis du mur, un tout petit peu :
Les choses m'ont tant déchiré que je peux,
Frêle, me glisser par le moindre interstice,
Ouvrez-moi Madame la Mort.
Ma nourrice
— Aux jours très lointains d'enfance où tout est charme —
Me ferma son sein, et je n'eus que mes larmes
A boire.
Et j'ai poussé comme un pissenlit
Dans l'ombre des fossés.
% Au printemps, joli
Comme un enfant encadré de tresses blondes,
Au printemps, qui tend ses bras vierges au monde,
Dans une soif incroyable de jouir,
Nulle ne me fit l'aumône d'un sourire ;
Et, quand j'ai dit mon angoisse et mes tourments,
Les Hommes-Frères ont ri, férocement
Bêtes.
Et ce fut toujours comme cela.
C'est pourquoi, Madame la Mort, je suis là,
— Me détournant de vie qui se détourna —
Pour venir, courbé comme fleur sous l'été,
M'endormir pesamment, des éternités
Nombreuses, et des éternités encore,
En vos bras de marbre, Madame la Mort.


Arthus Sigré Zézaiements. — Ambert, impr. de Migeon, 1896, 36 pages.


Arthus Sigré n'a pas cassé la baraque avec ses poèmes. On le retrouve néanmoins avec un "Triptyque" dans la Jeunesse nouvelle (Lyon), n° 2, 2 janvier 1897 et ses Zézaiements lui ont valu des lignes ambigües un mois plus tôt dans les prestigieuses Annales politiques et littéraires :

Les Zézaiements, d'ARTHUS SIGRÉ. — Trop modeste, un auteur s'accusant de zézayer ! Zézayer est un vilain défaut de langage. Et M. Sigré ne nous en paraît pas affligé. Mettons qu'il « bégaie » — gentiment déjà — ses poétiques « Zézaiements ».

(22 novembre 1896, p. 333).

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