De la pétrification et de son usage

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Tandis qu'aux rayons dardés par le soleil puissant, tu fonds à vue d'oeil, Alamblogonaute que tu es, jette donc un oeil et le bon, sur cette production de L'Oeil d'or, justement, de la traductrice Anne-Sylvie Homassel et de la graveur Sarah d'Hayer réunis : Examen critique de la pétrification.
Ce roman américain de 1931 intitulé outre-atlantique The Night Life of The Gods met en scène dans la grande tradition loufoque anglo-saxonne - on est à des lieux d'Ambroise Bierce - une folle équipe d'un inventeur explosif ayant trouvé la solution pour pétrifier à sa guise son entourage. Entouré d'une kyrielle de personnages folichons, il en vient à "réveiller" les dieux pétrifiés par la statuaire, et ce pour le plaisir de tous.

Neptune, à qui la présence de spectateurs en si grand nombre agréait fort, faisait de son mieux pour les distraire. Le clou du spectacle consistait à flipper le long du sol incliné de la piscine, et à freiner avec ses pieds en bas de la pente. Ce numéro grotesque et infantile était indigne d'un dieu barbu, mais Neptune en était à ce stade de l'ivresse auquel tout semble d'une irrésistible drôlerie.

Dans une ivresse presque ininterrompue, Thorne Smith (1892-1934), l'auteur de Ma Sorcière bien-aîmée a convoqué une femme leprechaun et son père, une nièce callipyge, un chien idiot, quelques policemen, divers représentants de la bourgeoisie locale et quelques dieux de l’Olympe pour mener une satire sociale aussi trépidante que décillante sur les capacités de la pétrification - dont les usages criminels, sociaux, familiaux ressortent d'une avancée caractéristique dans le domaine des rapports humains (et divins) et de la capitalisation. Et sur ce point, la présence d'une jolie korrigan n'est qu'un atout supplémentaire.
Dans la grande tradition burlesque, Thorne Smith sera donc, avec l'inévitable Gerald Durrell, notre ferme conseil du jour pour un été jovial. La traduction a paru en 2010, certes, mais la fraîcheur de l'opus étonnera tout nu chacun. Il faut croire que les illustrations et le génie particulier de l'auteur ont eu cette autre capacité de rendre insubmersible - ou diluable, forcément - ce bloc de texte à la fois dur comme un chef-d’œuvre et souple comme une œuvre populaire.

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Quelques extraits pour ceux qui manqueraient de foi :

Il ne peut plus attaquer du tout, fit Hawk, assez content de lui.
- Qu'est-ce que vous lui avait fait ? Couic ? En tout cas, vous êtes en train de m'achever.
- Non, je ne l'ai pas tué, l'animal. Je l'ai pétrifié.
- Comment avez-vous fait votre coup ?
- Facile. Vous voulez voir ?
(...)
Ce n'est pas la bande que nous recherchons, leur dit-il. Cette fichue bagnole est remplie de statues abandonnées. – Sans blague ! dit un deuxième officier. C’est pas net, cette affaire. Ça ne peut pas être des statues, ces trucs. Y sont tous assis. – Y pas de loi qui empêche les statues de s’asseoir, répliqua un troisième policier qui se souvenait de ses manuels d’école. Y a des Vénus accroupies, des Mercure volants, des faunes qui sautent dans tous les sens et des tas de trucs dans le genre. – Ouais, et ceux-là, ce sont des Automobilistes Assis ? fit le deuxième policier, sarcastique. – Je ne dis pas ça, mais ils pourraient avoir été volés dans un jardin, non ? fut la suggestion suivante, des plus impro- bables. – Vu leurs bobines, j’aurais tendance à penser que c’est plutôt dans un cimetière et qu’ils souffraient tous d’une crise de crampes aiguë. – Vous avez déjà entendu parler d’un cadavre qui a des crampes, vous ?



Thorne Smith Examen critique de la pétrification. Traduit de l'américain par Anne-Sylvie Homassel - Gravures de Sarah d'Haeyer. — Paris, L'Oeil d'or, 304 p., 20 €

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