Alfred Machard feuilletonise

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Lecteur, je vous vois venir... Vous souriez déjà de mépris... Le feuilleton ! C'est un genre à faire vomir les moins délicats... C'est entendu ! Que de fois ne l'ai-je point proférée, moi aussi, cette imprécation... Mais attendez un peu ! Un jour, au hasard d'une oisiveté pesante, vous risquez un oeil sur un journal qui traîne...Ô imprudence !
L'enfant perdu (ou l'enfant trouvé, comme vous voudrez) sur une marche de la Madeleine, dont les langes brodés contiennent cent dix mille livres en banknotes et un biberon Robert ; la midinette qui guette un prince russe à la sortie du bal de l'Opéra, en serrant convulsivement (c'est le mot consacré) sur sa poitrine la croix de sa mère et un bol de vitriol ; le jeune apache qui se convertit au bien en épousant la douairière, sa victime, grâce au vicaire de Saint-Sulpice ; l'ancien chef de la Sûreté qui trouve des fémurs anonymes (!) dans un pot au lait et l'index droit du duc de Saint-Victor du Pont de la Haute-Chaîne sur le fauteuil d'un académicien ; le cocher de fiacre qui a promené l'assassin, le mort-vivant ou le cataleptique passionné, tous et toutes sont là, avec ce mystérieux sourire au coin de leurs lèvres scellées, sourire captieux qui vous trouble, vous attire, vous retient...
Allez, vous achèterez ce journal-là demain matin !
Ciel ! quel mystérieux pouvoir recèlent donc, sans en avoir l'air, les phrases innocentes des romans-feuilletons...




Alfred Machard Poucette ou le plus jeune détective du monde. — Paris, Bibliothèque Plon, 1919.

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