Liev ou pas Liev ?

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Parmi les bonnes choses de la rentrée, le Liev de Philippe Annocque s'est rapidement distingué. Il faut dire qu'il est recouvert de rouge, arbore un zig en couverture et s'en tient à un format qui se lit sans soif. Nous aurons bientôt l'occasion de parler de la baleine de Pierre Senges et du nuage noir de Pablo Katchadjian qui appartiennent à la même catégorie des livres à lire sans perdre son temps, mais commençons par ce Liev qui file comme un garenne.
Il file, oui, mais dans sa tête. Physiquement, il n'est pas certain qu'il avance beaucoup, qu'il arque encore moins. Ce Liev est soit un cornichon, soit un être incompris, soit un timide king size, soit un dingue tout à fait. Et pour commencer il se rend au village de Kosko - ruralité insidieuse - où il doit prendre un emploi de précepteur - sous-entendues marmaille et bourgeoisie. Mais rien ne colle : pas d'enfants et des attentes à gribouiller dans un univers qui ressemble autant à une ferme qu'à une résidence surveillée, un asile, ou à un havre...

« Magda lui avait dit de s’asseoir, en attendant ; mais il n’y avait pas de chaise. »

Petit-fils des personnages de Beckett ou de Kafka, mais aussi de Jules Renard et de ses copains truands de l'autre fin-de-siècle, ce Liev qui pourrait aussi sortir d'un récit de Hrabal a juste un problème : il ne comprend pas ce qu'on lui dit et, si ses intentions sont pures, allez savoir, il est à côté de la plaque, convaincu que ses désirs sont la réalité. La dinguerie croît, les cagades textuelles se superposent, ça cahote, ça capote, c'est fort curieux et jamais ennuyeux. Là réside la réussite : quand tant de dramaturges produisent des machines poussives destinées à représenter la folie (on les reconnaît à ce que le spectateur est mal à l'aise pour le comédien qui se tord sur scène et pas du tout pour l'état mental du personnage qu'il joue), il semble que le jeu de dés ordonnancement du monde d'Annocque fonctionne à merveille.
Et on se prend à croire que, finalement, Liev est un individu d'aujourd'hui : il ne comprend rien à ce qui l'entoure et on le fait bidouiller de la facturette, tandis qu'il croit à la fonction qu'il se donne. Un parfait calu. Comme vous et moi.


Philippe Annocque Pas Liev. - Quidam, 152 pages, 16,5 €

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