Ses vers, sa bataille

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La guerre, les batailles et le heurt tectonique des peuples sont le sujet qu'arpente depuis des lustres un homme un peu exceptionnel. Il s'appelle François Boddaert. Editeur à l’enseigne d’Obsidiane, essayiste et poète, il a quelque chose du vieux sage qui dit. Je veux dire exprimer des choses profondes et enfouies, ou recouvertes par les débris. Ce qui n'est pas d'usage toujours en terre poëtique.
Avec son nouveau recueil Bataille (mes satires cyclothymiques), on passe côté carapace, soubresauts, nœuds de marins. Pas de crème fouettée aux amandes effilées. Naturellement, la langue qu'il imprime est passée sous les rotatives de sa pensée et d'une syntaxe contondante qui a tanné le verbe et l'a transformé. On se demande parfois s'il n'y a pas une filiation à chercher du côté d'Henri Simon Faure. L'idée nous saute au neurone et elle demanderait d'être vérifiée. En somme, on ne le lit pas sans en conserver une marque nette. Un exemple : c'est son "redan de Postdam" qui sonne sans fin dans l'esprit du Préfet maritime, une ritournelle. Autre échantillon :

La tête dans le gros sac
(couine, beugle de l'aorte et haletant du ventre) —
c'est notre histoire mais elle nous mange.

L'époque, la drôle, que de vieux bougres en nous
regagnent l'enfer des langes, leurs mères aux corps perdus.

Nombreux les chiffres, voilà l'erreur !
Déjà, petit : "Tu sais tes tables ?"
Le maître rature, roulement rage,
gardien des règles au fourreau rêche — sévérité !
L'élève tient bons points pour tant d'argent compté,
sautille, lâche au passage une patte sur une mine :
il troque son bonnet d'âne ancien
pour un beau casque à pointe.
("Mais qu'avoir dénombré, un siècle sur le bras ?")



L'oeuvre de François Boddaert est de celles que bâtissent les architectes habités. (Qui disait donc que l'architecture était le seul livre d'histoire sans mensonge ?)
Sans doute, François Boddaert est une sorte de moraliste, un observateur engagé dans l'histoire lente, lourde, longue de son peuple, de ses contemporains. C'est aussi un lecteur savant, ce que l'on peut nommer un érudit éclairé. L'emploi qu'il fait de la satire montre qu'il est aussi un homme d'esprit. Les plus rares. Il est grave certes, mais il est parcouru de malices. Une sorte de jongleur amusé jouant avec des grenades. Toute la question étant de savoir si elles sont dégoupillées.
Le seul sommaire parle à haute voix :

Avant-garde
Le saut du lion, entre Olomug et Ostrava
Levée de corps
Au branle-bas de cette toujours querelle
Tout condamné à vitre aura la tete secouée
Dans la terreur
La prise de Prague avec un genou mort
Bureau des nécropoles (restitution des corps)
Déganguée de doigts d'homme
Lettre sur les ruines de Kaliningrad

Alors que l’on rend hommage aux soldats morts en 1916, ce nouveau recueil aux matières parfois anciennes est de nature à convaincre qu'il n'est pas un poète parmi d'autres.
Bataille est un condensé de maîtrise et de charpentage, dans une langue chantante et caillouteuse comme un lit de rivière.
Il est clair, une fois de plus, que Boddaert (François), poète aussi autonome qu’inventif, est sans doute le seul éditeur dont l’œuvre personnelle ne pâlit pas devant celle des auteurs qu’il publie.


François Boddaert Bataille (mes satires cyclothymiques). — Éditions Tarabuste, 144 p., 13 €



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