Un tempérament à supporter les avanies du voyage

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Si l'on néglige honteusement Freya Stark, éditée du bout des lèvres en France, il serait bien malséant de ne pas dévorer Mes Saisons en enfer de Martha Gellhorn (1908-1998), celle qui fut la compagne de Bertrand de Jouvenel puis d'Hemingway. Ses Cinq voyages cauchemardesques récemment traduits proposent la version bancale et truculente d'une définition du voyage qu'elle proposait sur la base de ses meilleurs souvenirs, c'est-à-dire des moments qui, paradoxalement, lui restaient plus fermement accrochés à l'âme pour y avoir survécu...
Une collection d'anecdotes plus curieuses ou désagréables les unes que les autres de ses virées improbables entre les pattes des arcs de triomphe chinois délavés par la pluie, des vols hasardeux en pleine nuit entre des montagnes menaçantes, la Russie soviétique ou des îles caraïbes désespérement dépourvues de sous-marins nazis au beau milieu de la saison des typhons... Voilà du journalisme !
Ce livre préfacé désormais par Marc Kravetz, prix Albert Londres, est sans aucun doute l'un de ceux qu'il ne faut pas rater en ce moment. Vous verrez, foi de Préfet maritime : après lecture vous rangerez les récits de celle qui entretenait avec le voyage la même relation que celle du léopard avec ses taches (sic), naturellement, tout à côté de vos Nicolas Bouvier.
Un tout petit extrait :

L'idée de ce livre s'imposa à moi alors que j'étais assise sur une horrible petite plage de la pointe ouest de la Crète, entre une chaussure pleine d'eau et un pot de chambre rouillé. Tout autour de moi, les déchets de notre espèce. J'eus la sensation déprimante que je passais ma vie à me mettre dans ce genre de situation, et que je pourrais bien finir mes jours ici. Telle est la nuit obscure de l'âme dont tout voyageur peut expérimenter l'insondable profondeur, n'importe où et n'importe quand.
Personne ne m'avait suggéré ni recommandé cet égout à ciel ouvert. Je l'avais trouvé toute seule en étudiant une carte, sur le vol de nuit bon marché pour Héraklion. J'étais très fière, d'ailleurs, de ma nouvelle débrouillardise (...).




Martha Gellhorn Mes saisons en enfer. Cinq voyages cauchemardesques, traduits par . Préface de Marc Kravetz. - Paris, les éditions du Sonneur, 600 p., 22 €

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