Gabriel Chevallier, prix Courteline 1934

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En France et hors de France.
A Lyon.
Avec Gabriel chevallier, lauréat du prix Courteline, pour son roman « Clochemerle ».
A Lyon, ville où tout le monde se connait, où Jes habitudes sont régulières et les petits groupes de l'amitié constitués pour longtemps, il est facile de mettre la main sur un homme dont on a besoin. Nous savons dans quel discret café du centre trouver en cette saison Gabriel Chevallier, seul à une table, un stylo à la main. C'est d'ailleurs pour nous un sujet d'étonnement que l'on puisse ainsi travailler en plein tohu-bohu de joueurs et de bavards.
- Vous écrivez vraiment dans ce bruit ?
- J'y écris vraiment, et presque chaque jour. Articles, correspondance, et même mes romans J'ai toujours sur moi les derniers feuillets du manuscrit en cours. Où que je me trouve, si j'ai un peu de temps libre, je les tire de ma poche et J'avance mon histoire. Pour composer, je n'ai pas besoin que l'humanité fasse silence. Et j'estime même que cette rumeur qui m'environne forme un accompagnement très favorable aux actions de mes personnages. Ils baignent dans le réel qui émane des lieux publics. ce qui fait qu'ils en prennent naturellement l'accent.
- Avez-vous, pour écrire, des lieux de pré- dilection ?
- Non. J'ai simplement des humeurs du moment. Ainsi, je connais les possibilités d'utilisation littéraire de presque tous les cafés lyonnais. Certains sont charmants le matin, en été : on a le soleil sur la table, entre dix heures et midi, sans qu'il fasse trop chaud ; d'autres sont agréables le soir. Des cafés, plus confortables, sont à recommander pour l'hiver, alors que d'autres, ouverts à tons les vents, sont délicieux au printemps. Ceux-là, il faut les chercher dans les faubourgs, sur les quais ou les pentes de nos collines.
- Mais vous n'écrivez pas seulement au café ?
- Non, bien entendu. J'écris encore chez moi, comme tout le monde. Mais j'entends que le fameux cabinet de travail de l'écrivain ne se change pas en cellule. C'est pourquoi je vais volontiers m'établir dehors, en plein mouvement de la rue.
- Comment êtes-vous venu à la littérature ?
- Cela remonte à plusieurs années. Je voyageais pour affaires, dans quinze départements. Le soir, à l'hôtel, il fallait bien que Je m'occupe. Car je suis un déplorable joueur de cartes, et un insupportable logicien dans la discussion, où j'apporte l'entêtement des gens de notre pays. Pour ces raisons, mes confrères me trouvaient peu sociable J'en étais réduit à me. distraire par mes propres moyens. L'isolement me conduisit à découvrir qu'un simple stylo pouvait rendre de grands services au nomade que j'étais alors.
- Quels sont vos procédés de composition ?
- Plaît-il ? C'est plus simple que cela, et le n'aime guère les procédés, qui mènent un jours à l'artifice. Je prends un sujet. je commence à raconter. Après avoir écrit en tâtonnant un certain nombre de pages, il rue semble que J'ai enfin trouvé le ton qui convient à mon sujet. Je n'ai plus qu'à me laisse aller. Ce qui vous explique que je change de ton lorsque je change de sujet.
- Prenez-vous beaucoup de notes ?
- Pour le roman, jamais. Elles me gêneraient.
- Bref, vous n'avez aucune règle ?
- Écrire beaucoup, écrire tous les jours si possible.
- Êtes-vous satisfait de la récompense décernée à Clochemerle ?
- Certainement. Il me semble que Courteline aurait aimé ce livre, où j'ai pris de grandes libertés.
- Ayez-vous des manuscrits terminés ?
- Oui. Mais que je retoucherai probablement J'ai cessé d'y penser, pour le moment.
- Vous allez entamer autre chose ?
- J'hésite entre plusieurs sujets. Mais j'ai l'idée d'un grand machin difficile. un truc à se casser la figure... Peut-être commencerai-je par là, peut-être pas... J'aborde à peine le roman, et c'est une vole où il y a immensément à découvrir.
- Quel est, à votre avis, le critérium du roman ?
- Pfuu !... Pourtant, j'entrevois ceci : une chose qui ferait dire aux gens du métier : « ça y est ! », et à "l'homme de la rue" : « Ça m'intéresse ». Un roman, ce n'est peut-être qu'une histoire réussie. Cette simplicité est très difficile, il ne faut pas se le dissimuler.
Le reste de notre entretien se perdit dans la confusion d'un dîner très animé, qui eut lieu à quelque quarante kilomètres de Lyon, sur le plateau des Dombes. Au cours de ce dîner, il fut consommé pas mal de beaujolais, et notamment du cru de Clochemerle dont notre hôtelier possédait, par privilège rare, quelques bouteilles.
Paul Garcin.

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