Fabian, le moraliste d'Erich Kästner

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Erich Kästner (1978-), le rénovateur de la littérature pour enfants avec Emile et les détectives (1929) — il a sorti cette niche éditoriale des marécages moralisateurs et vendit plus de deux millions d'exemplaires de son livre, traduit en cinquante-neuf langues ! — a connu un privilège dont il se serait bien passé : voir de ses propres yeux ses livres autodafés par une foule nazifiée (1933) et manquer être lynché au plus fort du délire collectif. Ce triste sort lui a été dévolu par la satire du monde allemande qu'il venait de publier sous le titre de Fabian, un moraliste (1931).
C'est ce livre qui paraît aujourd'hui en français avec le titre un peu surprenant de Vers l'abîme, même si l'on conçoit que la satire d'un monde en pleine déréliction et déliquescence, un monde qui court à l'abîme comme on sait. On y suit un jeune homme plein d'intelligence et de doutes, incapable d'intervenir, de s'engager ou d'agir, désemparé qu'il est par les moeurs et le monde qui l'entourent : univers professionnels divers, artistes, l'univers de Fabian tourne sur trois roues. On y enferme les savants, les jeunes avocates se prostituent pour des rôles au cinéma, les intellectuels brillants sont bernés par les envieux, la médiocrité règne, comme la veulerie, la course aux étourdissements, le cynisme et la frénésie qui frappent inconsidérément, dans le désordre et parfois même dans le vide.
Ecrit par un fort esprit, perspicace et précis, ce roman doit reprendre sa place parmi les livres importants des années 1930. Aussi grave qu'ironique, aussi touchant que porté aux spectacles de l'humanité en désordre, il représente une excellente fenêtre sur un monde égaré, moderne certes, mais déchu.


Il s'approcha de la porte. Sa mère était derrière le comptoir, deux clientes lui faisaient face. Elle se pencha et posa un paquet de lessive sur la table, puis elle coupa un pain de savon de Marseille en deux. Elle prit ensuite du papier d'emballage et une cuillère en bois, préleva du savoir noir dans une barrique, le pesa et l'enveloppa dans la feuille. Fabian sentit son odeur jusque dans la rue.
Il ouvrit la porte. La cloche tinta. La vieille dame leva les yeux et, de saisissement, laissa retomber ses mains.
Il se dirigea vers elle et dit d'une voix tremblante : "Maman, Labude s'est tué". Et soudain, les larmes lui montèrent aux yeux. Il passa dans l'arrière-boutique, s'assit dans le fauteuil placé devant la fenêtre, regarda dans la cour, post lentement al tête sur le rebord de la fenêtre et pleura.



Erich Kästner Vers l'abîme. Traduit par Corinna Gepner. — Paris, Anne Carrière, 272 pages, 21 €
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