La Criée du Crieur

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Aux côtés du Monde diplomatique, du Canard enchaîné, de Courrier International et d'une poignée d'autres titres, il y avait encore de la place pour une revue d'analyse déguisée en mook : c'est la Revue du Crieur conjointement éditée par Mediapart et par la Découverte.
On y trouve des enquêtes et des idées sur les idées. C'est variée et présentée de manière très appétissante sous une couverture qui rappelle les grandes années du militantisme bien rouge et prolétarien. Un retour aux sources en quelque sorte, à l'époque où L'Humanité et Jaurès balançaient, une époque de tribuns et d'idéologues qui n'est plus.
Sur la couverture, les mots Corruption, Insurrection, Patrons, Utopie, Numérique et Etat servent d'accroche. On se sent rendu en milieu bouillant, c'est appréciable et cela invite à la mobilisation. De ses neurones, pour commencer, afin de se confronter avec le monde — on pense en particulier aux reportages sur le Kurdistan (Mathieu Léonard) ou les étudiants sud-africains (Isabelle Mayault), ou aux photos de Mikhael Subotzky. A la consommation de l'intégralité de ce Crieur, naturellement, en matière d'analyse, tout n'est pas également ferme mais on trouve cependant plus là qu'ailleurs. Voir avant tout à propos de la révolte les très bonnes pages d'Ugo Palheta sur les comités invisibles et de leur rôle dans la situation conflictuelle actuelle — qui n'est pas de nature à surprendre.
Paradoxalement, on s'y rassure aussi en découvrant que les dérives que l'on constate soi-même ne sont pas toutes le fruit d'illusions : ça vasouille pas mal à Paris (et dans l'Hexagone). Dans les rédactions, dans les ministères, et plus généralement dans les esprits. C'est ce dernier point le plus flippant.
Quant à savoir si le journalisme culturel marigote et que les grands patrons ne lisent rien, ma foi, chers enquêteurs, c'est beaucoup d'énergie perdue et ça n'est pas là que l'on vous attend. Savoir où les patrons du CAC 40 dépensent leurs milliards en oeuvre de plastique foutues par des margoulins nullards, c'est bien le cadet de notre souci. Savoir que certains journalistes sont corrompus par leur système, mazette, c'est du recuit. Expliquez-nous plutôt pourquoi le champ culturel n'est pas apte à intégrer les enjeux de l'époque (éducation = démocratie / écologie totale et architecture, etc.), pourquoi les créateurs français se tiennent tellement éloignés de la générosité malgré leurs discours dégoulinants sur la "liberté", le "partage" et la "transmission" ? Seraient-ils aussi mauvaisement utiles que les politiques ? Voilà des questions qui mériteraient de fiers journalistes, prompts à se mettre en porte-à-faux avec les mandarins et les cadors, une haute ambition, comme celle qui nous fait passer derrière les semblants d'une hypothétique "civilisation vrituelle" dont tout laisse penser qu'elle n'est pas si profondément novatrice, ni seulement productive de fruits épatants — parlons d'écologie par exemple et des dégâts causés de l'industrie informatique. On galère aussi avec le net, les données du net et le commerce du net. Le big data et la police en ligne, est-ce notre prochain désir collectif ? Faut-il se laisser aller à penser avec les naïfs que seule l'informatique compte désormais ? L'université ne jure plus que par les humanités numériques ? Grand bien lui fasse. Les "sciences sociales de troisième génération" ont toutes les chances de produire des travaux très approximatifs, comme les moteurs de recherches sont "flous". Les premiers travaux donnés à lire - en histoire littéraire par exemple — démontrent déjà les dangers de la pensée vague : ils sont très contestables. Gardons l'espoir et lisons le Crieur !

Sommaire
Ce que lisent les grands patrons
L'ère de la postdémocratie ?
Les secrets inavoués du journalisme culturel
Touche pas à ma musique !
Beaufort West (photos)
Le pouvoir de nommer ou la déréliction de l'état culturel
Les étudiants sud-africains contre les statues
La droite extrême à l'assaut du livre
Le Kurdistan, nouvelle utopie ?
Notre inconscient numérique


Revue du Crieur. n° 4, "Enquêtes sur les idées et la culture", Médiapart-La Découverte, 160 pages, 15 € l'abonnement à 43 € les trois numéros ne vaut pas bien le coup. Faites vivre les libraires et les kiosquiers !

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