Trop d'objets en fer...

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Ici, en prison, les autres ne prennent pas mon histoire au sérieux. Ils disent que je suis fou, que j'ai dû boire trop de lègmi. Mais moi, je sais de quoi je parle. Pas étonnant qu'ils refusent de me croire : gardiens ou détenus, ce sont presque tous des gens de la ville. Aujourd'hui les citadins ne comprennent plus rien aux jnouns. En ville, il y a trop d'automobiles, trop d'objets en fer. ça éloigne les gnous, c'est bien connu. Chez nous, à la campagne, nul n'ignore ce qu'est un djinn. Nous savons que le monde des gnous se trouve à quelques mètres de profondeur au-dessous du nôtre, dont il est le double exact, la copie fidèle. A chaque palmier, chaque maison, chaque caillou de notre monde, correspond son jumeau dans le monde des jnouns. La seule différence, c'est la voûte céleste. Elle n'est pas faite d'air, mais de terre. Ainsi fait-il aussi sombre dans le monde des gnous que dans un chaudron.
Moi, je suis d'un petit village au nord-ouest de Tozeur, dans la région des gorges de Goum El Khango. Vous ne connaissez pas, le nom de nous dirait rien. J'habite une maison au bord de l'Oued Sendess. C'est une très anciens demeure. Ses fondations se trouvent sous le niveau des eaux. C'est pourquoi, dans ma famille, nous craignons les gnous. Je suis né dans cette maison, tout comme mon père et mon grand-père, et je les ai toujours entendus dire que l'eau est le meilleur véhicule pour les gnous qui veulent rejoindre notre monde. Là, le djinn prend une forme humaine ou animale. Pourquoi le fait-il ? Je me suis souvent posé la question, et il me semble que seule une intention mauvaise peut pousser un djinn ou une djinniya à quitter son monde pour le nôtre, et y vivre sous une apparence qui n'est pas la sienne. Les gnous sont comme les hommes : il y en a de bons et de méchants. Parmi les jnouns, il y a des musulmans, des juifs et des chrétiens, tout comme chez nous. Mais je crois que si Dieu a créé le monde des gnous, et l'a créé tel qu'il est , c'est que ce monde doit leur convenir. Si certains d'entre eux le désertent, ce ne peut être que pour faire le mal. Il n'est pas facile de reconnaître un djinn, de le repérer. Vous y parvenez en étant attentif aux détails, aux petites choses qui vous font penser, dans le comportement d'une humaine ou d'une bête : "Quelque chose ne va pas." Les chiens aboient et les ânes braient lorsqu'ils qu'ils s'entent un djinn, mais ce n'est pas une preuve irréfutable. Moi, j'ai mis longtemps à me rendre compte que ma seconde épouse était une djinniya (la première est morte noyée dans l'Oued Sendess) (...)





Raymond Marchand, "La Djinniya", issu de L'Hospitalité des voleurs de Truxton Orcutt , édition revue et augmentée par l'auteur, Suivie de Réponse à Brandon Andrews. Traduit de l'angais (USA), préfacé et annoté par Jérôme Delclos. — Forcalquier, HB éditions, 2006, coll. "Antipodes", 288 p.ages 18 €


Curiosité éditoriale de 2006, ce livre composite et cependant homogène mériterait de connaître une nouvelle édition. A bon entendeur, salut.

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