Maraudes, ou l'hybridation naturelle des genres

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Pour suivre notre idée, et reprendre après le billet d'hier notre réflexion sur les assertions d'Ivan Jablonka prétendant sottement donner du "mouvement" aux frontières littéraires, et même "hybrider les genres" (propos d'un apôtre), ce fragment de René-Jean Clot répondant le 15 avril 1953 à une enquête d'Arts sur le "second métier" de l'écrivain...

Il est clair que cette société n'a pas besoin de notre art, il est absolument certain que notre pensée ne peut changer quelque chose à ce monde égoïste, exsangue et sans coeur. les directeurs de banque, les généraux, les prêtres, les boulangers, les agrégés, avec tant d'autres, n'ont pas besoin de notre art... Gagner sa vie avec un second métier, c'est un peu se réchauffer les doigts avant d'attaquer son propre ouvrage... En gagnant sa vie avec des hommes qui ne s'intéressent pas à son art, l'écrivain peut apprendre le secret qui les fait vivre".


C'est exactement ce que fait Sophie Pujas. Dans les rues, elle maraude. On ne sait pas si c'est son deuxième métier. On ne sait d'ailleurs plus si celui de journaliste, son premier métier, en est encore un. Les avis sont partagés. En tout cas, elle trotte à travers Paris - c'est une Parisienne - et elle s'emplit la rétine tout en noircissant son calepin de notations variées. Elle n'est pas sotte, elle est même d'un naturel assez malin : elle sait parfaitement noyer le poisson du réel dans l'eau du bain onirique.
En cas de besoin bien sûr.
Mais il est si rare qu'on y soit vraiment obligé...

Puis l’affiche fut remplacée par une publicité pour du rouge à lèvres. Une petite garce aguicheuse. Une usurpatrice de bas étage.
Depuis, les matins sont sans âme.

Dans son très beau livre de proses courtes, Maraudes, elle confesse ce qu'elle a saisi des êtres qu'elle croise. C'est autrement plus beau que ce que l'on peut lire ici ou là, et ça réconcilie avec l'être humain.
Naturellement, on est tenté d'aller chercher Fargue et Philippe, Marcel Cohen et Jacques Réda, Calet et Yves Martin, Hardellet et Giraud, des doux, pour étayer notre propos. Au fond, on pourrait s'en passer en résumant le propos qui sera compréhensible pour tous : Sophie Pujas est une jeune femme qui aime écrire et se promener le nez au vent à la rencontre de la vie. En vraie curieuse, elle reluque beaucoup : les gens, les murs, les vitrines, les couleurs, les mouvements, les fantômes du passé, mais la simplicité et la bienveillance de ses intentions sont si frappantes qu'il ne viendrait pas à l'idée de lui en faire le reproche. Elle incarne à la perfection l'authentique chroniqueuse dont la devise ressemble toujours à celle-ci :

Plus on croit au hasard, plus il est généreux."

On souhaite donc à tous de tomber un jour sur Maraudes.


Sophie Pujas Maraudes. - Paris, l'Arpenteur, 163 pages, 16 €

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