Plat comme l'enthousiasme (1922)

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Du cheveu en littérature. - L'aspect extérieur d'un écrivain, comme celui d'une maison de commerce, fait partie de la publicité.
Il est assez difficile de se créer un style écrit qui soit nouveau, nourri, rare, vivant.
Il est plus aisé de se créer une silhouette, un type ; et, depuis Homère jusqu'à Paul Fort, les poètes n'y ont point manqué. Mais, après la guerre, se dessine une autre mode. Les jeunes auteurs qui ne redoutent point les solécismes de langage, évitent ceux de conduite ou de costume. Et ceci, qui semblerait devoir n'intéresser que !e coiffeur ou le tailleur, éclaire d'un jour singulier l'évolution des mœurs littéraires.
Au temps de mes vingt ans fleuris, vers 1906, quand je débutais dans les Lettres et dans le Jardin du Luxembourg, une partie des jeunes écrivains faisait encore du symbolisme, l'autre était en coquetterie avec ces bohèmes ténébreux, qui colportaient des louis de cristal dans les boîtes d'allumettes suédoises.
(A ce propos, si jamais Francis Carco ou François Bernouard, Vincent Muselli, André Salmon ou André Warnod écrivent leurs mémoires, quelles heures picaresques s'évoqueront soudain !)
Or, en ces temps-là, si des jeunes gens, boucanés moralement et socialement, pouvaient fréquenter, sur un pied de cordialité, d'innocents poètes, c'est qu'ils étaient tous unis par la communauté, par la franc-maçonnerie, par l'uniforme du cheveu, du pantalon, du chapeau, de toute la silhouette. Il n'était pas chose nécessaire d'avoir une plume pour faire figure d'écrivain : il suffisait : il suffisait d'avoir des cheveux.
Aujourd'hui de telles confusions ne seraient plus possibles. Et nos jeunes hommes de lettres sont corrects et peignés comme des banquiers.
Cela tient peut-être, à ce qu'en 1912, l'on fondait une « école", comme entrée de jeu et qu'en 1922 on lance une affaire. Cette affaire est représentée par des paquets d'actions qui s'appellent encore des livres, mais ne sont véritablement cotés, qu'après admission à la Bourse, qu'elle soit de Voyage, Goncourt, ou Zaharof.
« L'âge des affaires », qui a modifié toutes les formes de notre activité publique, ne pouvait épargner notre activité tmentale. Et. d'autre part, la génération, à qui « la vie chère » interdit « la vie de jeunesse », doit se refuser tout agrément superflu.
C'est pourquoi, par exemple, M. Lucien Descaves avec sa moustache nationaliste, W. Pascal Forthuny avec le fleuve lyrique de ses poils, M. Anatole France avec sa calotte de limited, M. Paul Souday avec sa mâle allure de mousquetaire du Balzard, représentent capillairement, des temps révolus.
Aujourd'hui, le cheveu se porte plat, comme l'enthousiasme.
Roger Dévigne




Les Nouvelles littéraires, 21 octobre 1922, n° 1, page 2.

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