Adolphe Van Bever (1922)

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Un Maître du livre : Ad. Van Bever

Ad. Van Bever débuta dans les lettres en 1897 par une plaquette, "Méditation sentimentale sur Desbordes-Valmore", suivie à peu de distance d'un petit volume, "Contes de Poupées", contribution de l'auteur au symbolisme alors en vogue. Mais Ad. Van Bever, qui aussi bien, aurait pu y exceller, se détourna vite de la littérature personnelle pour se consacrer tout entier à des études critiques, à la bibliophilie et à la bibliographie. Il y était mieux préparé que quiconque, et ses Poètes d'aujourd'hui, parus en 1900, eu collaboration avec Paul Léautaud, et qui ont été le bréviaire de tant de jeunes littérateurs, témoignèrent d'un sens poétique, d'une sûreté de goût, d'un amour de la documentation précise, qui ne devaient que se confirmer par la suite. Ce fut, après ce coup de maître, l'exhumation et la mise en lumière, par des gloses et des scolies précieuses, de toute une série de textes rares, de saveur très relevée et bien gauloise, régal pour le lettré et pour le voluptueux. Citons pour mémoire, par ordre de publication : Les Poètes satiriques des XVIe et XVIIe siècles, Œuvres ignorées ou peu connues de Claude d'Esternod, Auvray, Motin, Berthelot, S. Sigougne, etc., ; Œuvres galantes des Conteurs Italiens, XIVe, XVe et XVIe siècles (2 séries) ; Les Conteurs libertins du XVIIIe siècle ; Les Gaillardises du sieur de Montgaillard, dauphiinois. On n'en finirait pas de tout citer.
Ne doit-on pas encore à Ad. Van Bever, les Œuvres poétiques choisies d'Agrippa d'Aubigné ; les 'Œuvres poétiques du sieur de Dalibray ; le Livre des Rondeaux galants et Satyriques du XVIIe siècle ; le Livret des Folastries de Ronsard ; et puis les Contes et conteurs gaillards du XVIIIe siècle ; les Amours et autres poésies d'Etienne Jodelle, sieur du L'Ymodin ; La Guirlande de Julie ; Blasons anatomiques du corps féminin, etc., etc. ?
Le succès des Poètes d'Aujourd'hui avait encouragé Ad. Van Bever dans une entreprise qu'il méditait depuis quelque temps. Il se décida à mener à bien et à publier seul, Les Poètes du Terroir (1909-1910-1911), étude originale et très serrée de la poésie locale des provinces françaises et des colonies. Il apparaissait, tant dans sa préface, qui est une belle page, comparable en tous points à la préface du La Fontaine, de Taine, que dans ses notices sur les diverses provinces françaises, comme un fils spirituel de Taine, plus maître de soi, et qui eût suivi avec fruit les leçons d'un Sainte-Beuve. A ce grand ouvrage se rattache la publication d'une série de livres sur nos provinces, recueils de textes suggestifs d'Alsace, de Normandie, de Bourgogne, de Touraine, etc.
Et Ad. Van Bever reprenait sa tache de Diogène dans la cité obscure des vieux livres, et il trouvait encore à épousseter de vénérables poussières. Il publiait successivement La Fleur de poésie française, Les Amours et Nouveaux Eschanges des Pierres Précieuses de Remy Belleau, Tristan l'Hermite, Contes et facéties galantes du XVIIIe siècle.
Il eût été inconvenable qu'un éditeur avisé ne cherchât point à s'attacher un homme aussi rare. Car le docte commentateur se double chez Ad. Van Bever d'un amateur (j'allais écrire : d'un maître) éclairé de belle typographie. Ad. Van Bever a compris l'enseignement des vieux maîtres-imprimeurs et rien de la technique du livre ne lui est étranger. Son goùt pour la présentation fait la joie des bibliophiles. En 1911 sa rencontre avec M. Crès, qui sut comprendre ce collaborateur unique, réalisait l'union du lettré et d'un éditeur aux vues neuves.
Sa présence se faisait bientôt sentir dans la maison d'une façon heureuse. La collection des Maîtres du livre, collection d'ouvrages de luxe, publiée sous sa direction, comporte aujourd'hui près de cent volumes presque tous épuisés et introuvables.Tout le soin d'Ad. Van Bever se portait d'une manière particulière sur "Sagesse" dont il donnait une leçon définitive, sur les Confessions de J.-J. Rousseau, collationnées sur les textes originaux, et enfin établies dans leur intégrité, sur Les Amours, de Ronsard, sur les Poéstes complètes, de Villon. Il va nous donner prochainement un Chamfort dont le besoin se faisait sentir, vu la pénurie de bonnes éditions de cet auteur.
Ad. Van Bever a créé également chez Cres la collection du Théâtre d'Art et celle des Variétés littéraires. Il faut signaler dans la première de ces collections, conçues selon la formule des Maîtres du Livre, une très remarquable édition de Phèdre, de Racine. enrichie de notes et d'un appendice- important. Dans la collection des Variétés littéraires, l'attention est surtout appelée par les Journaux intimes, de Baudelaire. Chez Crès encore, en 1911, Ad. Van Bever publiait l'ouvrage capital du poète pour lequel les admirateurs de Baudelaire ne lui devront jamais trop de reconnaissance. Avant cette date, on ne trouvait guère des Fleurs du mal dans le commerce, que l'édition Calmann-Lévy, dépourvue de notes, et bien insuffisante. Ad. Van Bever se mit courageusement à la tâche, collationna le texte avec un soin minutieux sur l'édition de 1861, et offrit enfin aux baudelairiens l'édition critique tant attendue. L'éditeur Crès annonce, dans la « Collection des Grands Textes » où est déjà paru un « Alfred de Vigny », une nouvelle édition de grand luxe des « Fleurs du mal ». Il est à remarquer, à propos de Baudelaire, que toutes les éditions des Fleurs du mal parues depuis 1911, se sont bornées à reproduire avec servitude, non seulement le texte, mais souvent les annotations mêmes d'Ad. Van Bever.
En même temps que Baudelaire, l'infatigable travailleur s'occupe de Verlaine, qui en dehors de sagesse, figure dans les « Maîtres du Livre » avec Amour, Parallèlement, Jadis et Naguère. Et Ad. Van Bever était porté naturellement à publier la correspondance du « Poor Lelian » dont le premier volume. vient de paraître chez Messein, correspondance émouvante à plus d'un titre, et dont nous ne saurions trop recommander la lecture aux admirateurs du poète.
Mais il faudrait parler d'autres livres encore que nous devons à cet artisan patient qui veut vivre dans l'ombre, plein de ses secrets et de sa science, ami des livres, aimé de leurs amis.

Yves Gandon

Les Nouvelles littéraires, 25 novembre 1922.


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