Le mauvais goût de la condition humaine

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On savait le mathématicien Didier Nordon doté de sérieuses capacités de vulgarisateur. On ignorait qu'il était tout aussi doué pour le découpage de billevesées en quatre. Avec L'Âme et l'urine, son nouvel essai, c'est la vie sociale et intérieure de l'Homme qu'il remet à plat et à sa juste place. C'est-à-dire quelques mètres carrés d'autonomie limitée avant le grand tas de fumier.
L'existence humaine est conditionnée par le mauvais goût, voilà sa thèse. On ne peut pas lui donner tort...

Enumérer toute les situations où se manifeste le mauvais goût de la condition humaine mènerait à un catalogue long comme l'histoire de l'humanité. Contentons-nous dans les chapitres qui suivent de développer trois exemples.

Et Nordon de s'attaquer à tout ce qui rassure l'être humain, ou participe de son environnement rassurant (la sainte Vierge), à ce qui le rend honteux (l'excrément) ou ce dont il peine à assumer le plaisir (l'érotisme).
Comme chez Orwell, pour qui la paix signifie la guerre, l'information vaut désinformation pour Nordon qui s'en explique efficacement. La démonstration éclaire du reste la façon dont Nordon réfléchit. Il prend le monde par le menu de formulations trop répétées et en établit paradoxalement (ou non) les faits. C'est un observateur qui ne se leurre pas sur ses intentions, ses ambitions, ses répulsions et ses doutes. En particulier sur la procréation... Il attrape son sujet et le tord tout en le poussant — ou en l'étirant — à l'extrême. Sophiste ? non. Logicien plutôt.
Un petit exemple : chez Didier Nordon, la Vierge n'est certes pas "intacta" mais il admet que toutes les statues la représentant en donnent une version "innoncente" : elle est vierge de mauvaises intentions. Cependant est-ce si innocent de mettre en enfant au monde ?
Un peu plus loin, cette interprétation des rapports hypocrites des écrivains avec l'acte charnel : "Puisque l'humanité ne s'est éteinte ni en lisant Racine ni en lisant Lamartine, c'est que la chasteté n'a triomphé que dans les livres." Par quel mystère verse-t-on dans la pornographie quand on décrit l'acte ou la chair ?Et puis quel est ce refus hypocrite des sanies chez l'Homme ?

On ne va pas dévoiler plus avant ce que la comprenette d'êtres libres et honnêtes vis-à-vis d'eux-mêmes, peut-être un peu sauvages et cyniques, savent déjà sans toujours le formuler : la condition humaine n'aboutit presque jamais aux hauts faits glorieux de l'"Entre ici Tartempion"... seul un fantoche comme Malraux pouvait avoir le mauvais goût de déblatérer sur ce thème. En fait, "En se pliant à des normes, le beau est hypocrite - ce qui le rend de très mauvais goût !" On peut dès lors repenser nos rapports aux œuvres louées généralement et remettre en question les éloges établis par les esthètes.

Bref, inutile d'en rajouter : Didier Nordon fait le ménage dans nos pensers. C'est toujours un capharnaüm qu'il s'agit d'aérer, de ranger, de vider. On ne s'aperçoit pas toujours des scories que l'on laisse s'incruster dans les recoins de nos esprits. C'est pourquoi les amateurs de pensées acides et fraîches, celles qui nettoient le mieux, vont se retrouver dans ce livre, modèle de franchise et de subtilité, parfois même d'humour.

Mourrons humbles et décillés, nous dit Nordon, mais mourrons amusés par la vérité de notre sort.



Didier Nordon L'âme et l'urine. Variations sur le mauvais goût de la condition humaine. - Champ Vallon, coll. L'Esprit libre, 144 pages, 17 €

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