Philareste Chasles l'oublié

ChaslesPhil.jpg



Un oublié : Philareste Chasles
̃Il y aura, le mois prochain, cinquante ans que mourait, à Venise, l'un des plus curieuse esprits du XIX* siècle, Philarète Chasles, érudit étonnant (il parlait à peu près toutes les langues européennes), critique profond et acerbe essayiste étonnant, mémorialiste incomparable, mais par-dessus tout fantaisiste incorrigible. Né le 9 octobre 1799 - quoique Vapereau le vieillisse d'un an - à Mainvilliers, près de Chartres, son père ancien conventionnel qui avait voté la mort de Louis XVI, imbu des théories pédagogiques de Rousseau, lui donna les noms prétentieux d'Euphémon, Philarète, et, bien que son rang et sa fortune eussent pu dispenser L'entant d'un travail manuel. lui fit apprendre le métier de typographe. Un imprimeur de la rue Dauphine l'initia aux mystères de la composition. Impliqué dans un complot ait moment de la Terreur blanche, ledit imprimeur fut arrêté avec son apprenti. Chasles passa deux mois à la Conciergerie et ne fut relâché que sur les démarches de Chateaubriand, près duquel sa mère avait fait agir. Libre, le jeune imprimeur part aussitôt pour Londres où il travaille sept années durant, chez l'érudit Valpy, comme correcteur. En 1822, il rentre enfin en France. Benjamin Constant venait de fonder, avec l'argent dit banquier Lafitte La Renommée, nettement dirigée contre Louis XVIII. C'est là que Philarète Chasles devait débuter : le journal publia son Eloge de Mme de Staël qui fit un certain bruit et qui ouvrit à son auteur le salon de Jouy "où, écrit Chasles dans ses Mémoires, se fabriquait la poudre à canon contre le roi." Philarète Chasles était lancé. Le Journal des Débats, la Revue des Deux Mondes, la Revue britannique, la Gazette de Saint-Pétersbourg, la Revue de Paris, accueillent sa signature. Il enleva en 1827 le prix d'éloquence de l'Académie française avec un excellent essai sur la littérature française XVIe siècle. Et surtout il traduit, il traduit.
Peut-être ne serait-il pas très exagéré de dire que c'est Chasles qui nous donna le goût véritable des littératures étrangères. Ses études sur l'Angleterre, l'Allemagne, l'Espagne, etc. mériteraient de ne point rester enfouies sous la poussière, dans les greniers. Et c'est encore la traduction de Chasles qu'il faut lire quand on veut connaître le "Titan" de Jean-Paul Richter.
De taille moyenne, extrêmement mina, fluet même, il se signalait d'abord par la barocité de ses cravates et de ses vêtements, d'ailleurs fort élégants. La barbe et les cheveux outrageusement teints, une figure d'une extraordinaire malice, l'œil vif et clair, « un œil de pie » disait Balzac, il adorait causer et jusqu'à ses derniers jours resta le plus malicieux des "conversationnistes" et le plus alerte des riposteurs.
- Est-il possible, gémissait-il volontiers, qu'il existe tant de romanciers chez nous ? on en compte trois cents au moins. Et ces gens-là font trente ou quarante volumes, au bas mot. Savent-ils ce qu'ils font ? j'en doute. Il est si difficile de faire un bon roman. On condamne tous les jours pour un article de politique à la prison, à l'amende, à l'exil. Pourquoi pas ces peines pour un mauvais roman ?
Philarète Chasles est mort en 1873. Quelles n'eussent pas été, de nos jours, ses lamentations.

Léon Treich

Les Nouvelles littéraires, 9 juin 1923

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page