Avant la naissance d'Europe (1923)

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Avant la naissance d'« Europe »

Les premiers dans toute la presse, nous avons annoncé, il y a déjà quinze jours, à nos lecteurs, l'apparition prochaine de l'importante revue Europe. Or, nous avons pu rencontrer il y a quelques jours, M. Paul Colin, qui présidera, avec M. René Arcos, aux destinées d"Europe. Nous sommes heureux d'avoir pu obtenir de lui une gerbe d'informations extrêmement intéressantes.
M. Paul Colin dirigea, pendant plusieurs années, à Bruxelles, la revue L'Art Libre. Il va publier, fin février, chez Rieder, l'œuvre qui lui tient le plus à cœur : c'est un ouvrage de plus de trois cents pages, intitulé tout simplement : Allemagne 1918-1921. C'est l'histoire de la première république. Paul Colin s'y occupe très peu de politique ; il n'y a guère qu un seul chapitre spécifiquement politique, où il s'efforce de déterminer la position respective, depuis le début de la guerre, des deux grands partis : réaction et révolution. Il aboutit à cette conclusion que, contrairement à ce que l'on dit couramment dans les journaux, il n'y a plus en Allemagne ni parti de réaction, ni parti de révolution, mais des gens qui cherchent à manger et à s'habiller. « Tout y est devenu fait divers. »
M. Paul Colin avait donné autrefois un roman : Le Cadran-Solaire : un livre sur Romain Rolland. en hollandais, et un livre sur La Jeune Littérature française, qui fut traduit en allemand et en hollandais. II a donné en français La Belgique d'après-guerre. Il va publier, bientôt, chez Crès. Les Lettres de Rubens, qu'il a traduites, annotées, commentées et. préfacées. Cela fera au moins deux gros volumes de la Collection Dionysienne, riche déjà des Mémoires de Benvenuto Cellini.
M. Colin avait donné, précédemment, chez le même éditeur : « Des Notes sur l'Impressionnisme".
M. Paul Colin nous remit tout d'abord le sommaire du premier numéro, qui paraîtra le 15 février. Le voici :
Lucie Cousturier. - Entre Soudan et Guinée.
Léon Werth. - La Vie Sentimentale de Pierre Masson.
Ivan Bounine. -Le Fol Artiste.
Charles Vildrac. - Poèmes.
Comte de Gobineau. - Ce qui est arrivé à la France en 1870 (inédit).
F.-J. Bonjean. - Une Renaissance Egyptienne.
Kasimir Edschmid. - La situation des Intellectuels en Allemagne.
René Arcos. - L'Esprit Européen.
Georges Duhamel. - Mission du Poète.
Luc Durtain. - Le Roman Français.
Daniel Lazarus. - L'Avenir de la Nouvelle Ecole Musicale.
H. Van de Velde. - L'Orientation du Goût en Architecture.
Manuel Azana. - Le Mouvement Intellectuel en Espagne.
Notes. Comptes rendus. Bibliographie.
M. Paul Colin nous dit ensuite : « Nous sommes une Revue de 128 pages, du format de la Revue des Deux Mondes. Nous devions d'abord porter en sous-titre : REVUE FRANÇAISE DE CULTURE INTERNATIONALE. C'est tout un programme. Le seul fait de donner une large place aux littératures étrangères, nous classe parmi les révolutionnaires. Or, nous ne sommes pas des révolutionnaires. La Revue, - j'y insiste -, est une Revue de culture qui ne fera jamais de politique.
"Revue de littérature, ai-je dit ? Qui donc oserait le nier, devant cette part importante que nous entendons donner aux œuvres d'imagination ? Est-ce à dire cependant que nous nous en tiendrons là ? Est-ce à dire que nous ne nous préoccupera pas des problèmes de l'esprit, qui se posent aujourd'hui aussi tien sur le terrain national que sur le terrain international ? Cela aussi, il serait fou de le nier. Mais la simple énumération des quelques œuvres que nous entendons publier vous indiquera mieux notre position à cet égard.
« Nous nous sommes assurés la collaboration régulière de : Valery Larbaud, de Elie Faure, de Roger Martin du Gard, de Pierre Hamp, de Lucie Cousturier, de Maxime Gorki, de Tagore, de Brandès, de Selma. Lagerlof. Henri Van de Velde, que je considère comme le père de l'architecture moderne, est tout à fait avec nous.
« Les chroniques étrangères sont faites par des indigènes très représentatifs de leur littérature et de notre génération.
« Nous publierons le deuxième volume de l'Ame Enchantée, de Roman-Roland (sic), L'Eté, et un roman de Jean-Richard Bloch provisoirement intitulé : La Journée Kurde. Puis, peut-être, le premier roman de Waldo Frank, traduit en français.
« Je vous ai déjà dit que nous publierions dans notre premier numéro un article sur l'islamisme et la renaissance égyptienne. Bonjean est professeur au Caire : il a eu, là, l'occasion de pénétrer ce monde de l'Islam, si mystérieux encore à nos yeux d'Occidentaux. Son article, plein de sens, sera, pour la plupart d'entre nous, une révélation.
« Autre chose encore : Europe, voilà un titre qui suppose, je pense, un état d'esprit européen. Cet état d'esprit existe-t-il ? D'aucuns le nient. Une grande revue n'ouvrait-elle pas, à ce sujet, et il n'y a pas si longtemps, une enquête à laquelle les plus grands écrivains de tous les pays ne daignèrent pas de répondre. René Arcos ne répondra pas à cette grande revue. Mais il s'efforcera de montrer l'existence, la vie de cet esprit européen.
« Voilà l'esprit d'Europe : maison commune où doivent se rencontrer les libres intelligences de tous les pays. »
« Nous croyons, en effet, qu'une des plus nobles tâches qu'on puisse proposer aux hommes de ce temps est de chercher à réaliser enfin l'unité humaine. La guerre même a démontré de façon décisive, que tous les Etats demeuraient étroitement solidaires les uns des autres. Bientôt il leur faudra, bon gré mal gré, mettre en commun toutes leurs ressources, pour subsister et progresser. Tous, selon nous, ont leur mission à remplir. Chacun fi son génie, sa grandeur, son trésor de forces spirituelles. Le plus disgracié même- saura nous montrer quelque jour qu'il gardait on lui maintes richesses.
« Nous demandons à tous ceux qui partagent notre foi dans les possibilités sans limites du génie humain lie bien vouloir nous aider et nous éclairer. Avec eux nous essaierons de grouper tous les efforts ayant pour but d'élargir le champ de connaissances. d'augmenter le patrimoine commun. Nous nous attacherons particulièrement à tout ce qui est susceptible de développer en nous la compréhension affectueuse. Nous respecterons l'indépendance et le caractère de toute individualité et nous nous appliquerons à créer autour des valeurs nouvelles une atmosphère d'attention et de sympathie. Nous voudrions rassembler ici les esprit les plus originaux et les plus lucides de notre temps, et nous espérons bien nous assurer le concours fraternel de tous ceux qui essaient loyalement d'apporter quelque lumière dans la confusion actuelle. Nous ne poursuivons pas de buts personnels ; notre œuvre est dédiée à la gloire de l'homme".

G. M.



Les Nouvelles littéraires, 20 janvier 1923.

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