Teffi prend le large

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Teffi n'est pas une inconnue ici, sur l'ile du Préfet maritime. Grâce à la traductrice Mahaut de Cordon-Prache, on la lit dès que possible. Il se trouve que les éditions des Syrtes combinant leurs efforts aux siens viennent de nous donner le volume de ses souvenirs les plus déchirants, celui où elle relate son départ de Russie en 1917.
Baroque, chaotique, étourdissant, ce trajet en terres humaines inconnues révèle l'absolue étrangeté d'un moment historique, l'exode qui semble devoir être toujours le moment où les désirs humains se mêlent à une vindicte exacerbée, à une violence débondée, à des attitudes revanchardes quand ce n'est pas de folie assassine pure et simple.

Oui, ce tourbillon détermina notre sort. Il nous a rejetés les uns à droite et les autres à gauche.
Un garçon de quatorze ans, le fis d'un marin fusillé, réussit à se glisser jusqu'au Sud pour y rechercher des parents. Il ne trouva personne. Quelques années plus tard, il figurait dans les rangs des communistes. La famille qu'il avait essayé de retrouver sans succès était à l'étranger. Et on y parle de l'enfant avec amertume et honte.

Teffi, troublée, perdue comme ses compatriotes, relate les journées inouïes d'une troupe de comédiens fuyant Moscou sous prétexte d'une tournée ukrainienne. De trains apparemment sans maîtres en petites gares isolées, avec des haltes parfois au coeur de la terreur, ce sont des semaines passées près de la guerre civile, des infections galopantes et d'êtres éperdus. Et, parfois, un instant de calme retrouvé...

Kislovodsk offre aux trains qui arrivent des paysages idylliques : des collines, de paisibles troupeaux qui broutent et, sur un fond de ciel pourpre, se dessine une potence noire, finement découpée, avec un bout de corde.
C'est le gibet.

Nadejda Alexandrovna Lokhvitskaïa (1872-1952) écrit ce texte aux alentours de 1937. L'écrivain satiriste, polémiste et femme d'esprit qu'elle est laisse un récit remarquable sur ce départ dangereusement mortel. Touchée par l'exil qui s'impose peu à peu au fil des étapes, elle laisse à Novorossiisk où un bateau l'extrade vers Constantinople une part d'elle-même. Elle ne reviendra plus sur ces terres balafrées de maladie et d'horreur :

De mes yeux grand ouverts jusqu’à être glacés. Je regarde. Sans bouger. J’ai transgressé ma propre interdiction. Je me suis retournée. Et voilà que, comme la femme de Loth, je me suis figée. Pétrifiée jusqu’à la fin des siècles, je verrai ma terre s’éloigner doucement, tout doucement.




Teffi Souvenirs. Une folle traversée de la Russie révolutionnaire. Traduit du russe par Mahaut de Cordon-Prache. — Paris, Editions des Syrtes, 282 pages, 19 €

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