Dyssord et son chasseur classique

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Charlie, chasseur et le roman picaresque
par André Salmon

Si, transporté par quelque tyran en une île déserte, Jacques Dyssord n'y devait avoir que la consolation d'un seul livre, le poète du Dernier chant de l'intermezzo. le pénitent de La Paroisse du Moulin Rouge, le confesseur de Charlie, chasseur, n'hésiterait pas un moment. Il emporterait Lazarille de Tormes, le modèle de tous les romans picaresques, et le plus certainement méconnu. Lazarille de Tonnes, des belles dames aux filles d'auberge, des marches du trône à la caverne des brigands, court toutes les aventures d'un jeune cavalier espagnol. Mais il y a, dans son roman, nue image merveilleuse, bien propre à retenir le cœur et l'esprit de Jacques Dyssord. Lisez le chapitre où l'on voit Lazarille pêché comme monstre marin. C'est éclatante et lamentable, l'image même de votre destin, poètes, en un monde abondant en méchants et en médiocres. Pris aux filets du monde, le poète éblouit. Il semble monstrueux et séduit. Mais qu'en fera-t-on? A quoi peut servir un poète ? A quoi peut servir un monstre marin ? On songe a l'exhiber, mais convient-il de le débarrasser du filet ? D'ailleurs on s'en lassera vite. Parfois Lazarille s'échappe. Il se peut qu'une telle épreuve ramène tout de bon à se tenir pour monstre. Or, chez les monstres, il sera dévoré.
Jacques Dyssord. poète mélancolique, narquois par pudeur et qui pourrait être un grand élégiaque, Dyssord, l'un des poètes les plus outrageusement pillés, n'a-t-il pas été tiré, par des pêcheurs sans amour, d'un fluide univers où les sirènes eussent été ses épouses et ses sœurs ? Les mailles du filet l'ont meurtri. Mais poète conscient, quelle pitié n'accorde-t-il pas aux poètes sans le savoir d'un monde de réprouvés sur qui s'abattent de pires éperviers, des lacs cruels et qui sont si candidement fiers de compter parmi les monstres !
Jaques Dyssord est-il coupable, comme les Philistins, de les avoir complaisamment exhibés?
Non, car s'il nous les sait rendre bien sensibles, c'est en entrant, avec une nonchalance apitoyée, dans leur brillante et douloureuse compagnie.
J'admire que les pages d'un roman comme ce Charlie, chasseur aient d'abord paru dans un journal à usage de gens obstinés a se divertir... Mais vais-je faire tort à cet adorable bouquin en risquant de le présenter comme un ouvrage de moralité morose ? Ah ! lisez-le, sans scrupule, vous qui de voulez que vous divertir d'une humanité de fantoches. Vous ne risquez rien... Vous vous amusez follement. Le compte est fait depuis longtemps. Sur dix mille lecteurs. cent peut-être se laisseront gagner à cette trouble pitié, dangereuse pour l'ordinaire et qui sied si bien aux poètes.
Charlie, chasseur nous introduit dans un monde tel qu'il me parait tout à fait convenable qu'on en ait discuté, l'autre jour, à la Cour d'assises, pendant une suspension d'audience,. On jugeait, ce jour-là, cet Alphonse Mourey, introducteur aux U. S. A. du cambriolage parisien... et bon pêcheur à la ligne à Gournay-sur-Marne. C'est sous cette apparence que le connut Dyssord. chez l'Ami Désiré, ce bon bistrot, aussi bon hôte que Don Ruy Gomez, mais plus jovial et qui se place la main sur le ventre, un ventre de bistrot, pour jurer qu'il dit la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Dyssord pourrait se mettre la main au cœur, car le coeur parle dans ses livres. Seulement... la pudeur!. Alors, Jacques, tu t'évades par les couloirs diaprés de l'esprit. Tout de même, parlant aux gens de robe des coquins amusants, éblouissants comme des monstres marins, tu fus assez, heureux pour convaincre ces robins qu'ils auraient tout profit à lire Charlie, chasseur. Parce que la pitié romantique a fait long feu, faut-il n'avoir plus jamais pitié ?
M. le Président, M. l'avocat général, mes chers maîtres, lisez Charlie, chasseur !
Au surplus, les chers maîtres y trouveront un confrère. On le voit peu au Palais. Quand on est trop voyant, on se cache. L'avocat de Charlie est un sage. On composerait un livret utile rien qu'avec ses Pensées choisies: «- J'appelle littérature le goût du mensonge. »
Et ceci :
« Charlie vivait dans le mensonge, comme un poisson dans l'eau, mais on est venu troubler l'eau de son bocal, il est remonté le ventre en l'air. »
Charlie aussi est un grand philosophe. Pourtant, Si on le lui dit, il ne manque pas à répondre :
- C'est selon. Aux cartes, j'en ai connu de plus fort.
Jacques Dyssord n'a même pas méprisé la petite fleur bleue. C'est Marthe. La jeune Marthe, pensionnaire des Dames de Villemomble. Retenez qu'à Charlie revient tout le mérite de cette excellente éducation. Ce n'est la faute ni des saintes filles, ni de Marthe si, aux chapitres derniers, nous entendons la jeune Marthe de s'exprimer ainsi :
- Pauvre vieux, tu croyais que je t'avais pris pour un miche ?
C'est la fatalité, quoi ! Moi, je trouve que cela excuse Charlie. Mais allez donc expliquer cela à des juges ! En vain répéterait-on avec le vénérable maître Peyrecave, octogénaire honneur du barreau bordelais : « Fermons les codes ! Ouvrons les cœurs ! »
Charlie, chasseur ! Sur quoi ne tombe pas son jugement ! Ami du naturel, il dit: « J'ai entendu des cabots de la Comédie-Française qui tournaient en Angleterre. On ne comprenait rien de ce qu'ils vous balançaient. Ou aurait dit qu'ils se gargarisaient. »
Ce livre est universel, vraiment. Mais la poésie le domine. Même si l'auteur laisse parler Charlie : « Ça ne vous dit rien, Palerme ? Imaginez que vous mangez une orange sanguine et fermez les yeux. »
C'est pour dire l'histoire d'une souris d'hôtel. Charlie est « affranchi ». c'est sa façon d'être classique. C'est pourquoi Dyssord l'a aimé et, classique dans sa fantaisie, nous le rend bien, sensible.

André Salmon



Illustration du billet : Nouvelles littéraires, 6 septembre 1924.

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