Auguste Boncors au tribunal

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Auguste Boncors, de Rostrenen
« poète impérial »
ne veut pas d'autre toit que le ciel
lorsqu'il prend un bain

Mais, condamné un jour par le tribunal de Loudéac
pour avoir, à Uzel, outragé à la pudeur, il fait appel
devant la Cour de Rennes


De notre correspondant particulier
Rennes, 1er mars (par téléphone).

— Triste saison pour les poètes !
Récemment, le tribunal correctionnel essayait de couper les ailes à Jean Cocteau. Aujourd'hui, un autre enfant des Muses sera sacrifié devant la Cour d'appel de Rennes pour un délit bien prosaïque.
A Uzel, dans les Côtes-du-Nord, Auguste Boncors de Rostrenen, le « poète impérial » comme il se nomme lui-même, un soir qu'il allait chercher l'inspiration dans le cidre, dut satisfaire aux exigences de sa nature, somme toute animale.
Il n'eut que le temps de sortir du café. Malheureusement, deux jeunes filles étaient là et eurent la révélation qu'un poète est après tout un homme. Cette désillusion valut à notre Boncors d'écoper de huit jours de prison par le tribunal de Loudéac.
Il a fait appel et le voici aujourd'hui devant la Cour de Rennes. Dans cette salle d'audience rien ne le distingue du commun.
C'est à Rostrenen, ville de granit et de miracles, qu'il faut le surprendre au gîte pour avoir la révélation sinon de son génie, tout au moins de son non-conformisme.
Car Auguste Boncors est un vrai poète, puisqu'il a écrit six mille vers, que ces six mille vers ont été imprimés en un magnifique recueil à couverture dorée, sous le titre : « Odes triomphales du poète impérial Boncors », et que l'auteur prépare deux autres ouvrages comme suite à cette œuvre, au rythme régulier de deux cents mots en quatre heures et de mille tous les cinq jours.
Ses ambitions littéraires, à lui, c'est de rénover le théâtre lyrique.
Faire des romans, dit-il, tout le monde en fait, la grande poésie au moins c'est rare !
— Vous voyez, sur la couverture de mon livre, un aigle, c'est le symbole de mon génie.
La vie même de Boncors est une manifestation poétique.
Comme Byron et Victor Hugo, auxquels il ne craint pas de se mesurer, il défie les éléments. A vous et à moi l'esclavage des saisons, la servitude du froid, de la chaleur, la méfiance de l'eau glacée. Lui, il dédaigne cela. Par exemple : le poète m'a reçu dans sa salle de bains, c'est-à-dire dans son jardin, car il a extirpé de la maison la baignoire, l'appareil à douches, le lavabo et la tuyaute rie qui court à l'extérieur des murs. La baignoire a les pieds dans l'humus et la vigne vierge s'égoutte dans l'eau où nagent encore trois dernières feuilles de platane.
Le poète, pour ses ablutions qui sont un rite, ne veut pas d'autre plafond que le ciel. L'espace suffit à peine à son intimité. Il ne connaît pas de communes césures : c'est un poète !
Quand il était apprenti boulanger, il se fit renvoyer par son patron. car il recueillait l'eau des gouttières pour faire le pain. afin de convoquer le ciel à la fabrication de cette nourriture terrestre Il est persécuté. C'est ce qu'il va tenter d'expliquer aux magistrats de la cour de Rennes.


Ce soir, 2 mars 1939.

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