Kikou cachée par la forêt (de bambous)

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La magnifique réédition de deux romans de la franco-japonaise Kikou Yamata (1897-1975) par les éditions du Lierre embrassant la muraille doit être signalée aux bibliophiles qui aiment lire.
Kikou Yamata, dans les années 1920-1930, ce fut l’irruption du Soleil Levant dans la France d’entre-geux-Guerres. Elle venait de Lyon où son père était diplomate, et elle a publié sous le regard complice de Paul Valéry de nombreux ouvrages qui familiarisèrent un peu nos concitoyens à la culture japonaise.
Après la génération d’Harry Alis (on se souvient de son Hara-Kiri repris dans la collection "L’Alambic" avec une présentation de Jean-Didier Wagneur), qui faisait elle-même suite à celles de ces juristes qui avaient porté le droit français aux Japonais au cours du XIX siècle, Kikou Yamata fut la fleur exotique qui faisait le lien entre Nippon et nos ancêtres, touchés naturellement, eux aussi, par la poésie et la grâce des écrits et des images provenant de cet Orient si extraordinaire. En somme, Kikou était une coqueluche. Outre ses qualités littéraires, fruits d’une grande simplicité et d’une lumineuse attention aux êtres et aux choses, il apparaît toujours, aujourd’hui, en 2019, que la relire évite de s’enferrer dans les écrits français à vocation exotique de la même époque dont les vertus sont nettement moindres. Tout au moins Kikou Yamata avait-elle la connaissance et la sensation naturelles, internes, de ce qu’elle décrivait avec beaucoup de fraîcheur. Cela explique, du reste, son grand succès d’alors et la résistance de ces proses au temps.

J’ai pris froid en allant rendre visite à mes tantes. C’est si grand ce Tokyo, et nos pousses allaient si lentement ! Cahotée entre les rideaux noirs, j’entendais le flic-flac des pieds des coureurs dans la boue. A travers le mica des lucarnes on aurait di tla glce pilée à la conditure de pois qu’on vend aux coins des rues, dans les petites boutiques, l’été.
Et puis mes tantes, mes nobles tantes, possèdent des salles de vint-deux tatamis où elles aiment à recevoir avec tout le cérémonial. Après avoir quitté écharpe et manteau dans l’entrée ouverte au vent d’hiver, j’ai eu le temps de me refroidir dans les longs couloirs miroitants.
Le charbon était, certes, de première qualité et le brasero laqué d’or. Mais sous le haut plafond de bois la petite fleur de feu d’épuisait. Et ce thé délicat, comme il y en avait peu dans les tasses transparentes, minces comme un pétale netre les lèvres ! Moi, je n’osais pas dire que j’avais froid, que j’aurais voulu mettre mes deux bras autour du brasero, boire toute l’eau chaude qui fumait selon nos coutumes dans la bouilloire de la pièce commune.
Aujourd’hui les vieilles tantes déclarent d’un air méprisant que Masako est trop délicate (...)




Signalons enfin que les mêmes éditions du Lierre embrassant la muraille publient dans des conditions très exceptionnelles une revue dont nous parlerons sous peu.


Kikou Yamata La Trame au milan d’or, précédé de Masako. — Lyon, Le Lierre embrassant la muraille (15, rue Royale, 69001 Lyon), 348 pages, 12 €

Illustration du billet : dessinateur non identifié, 1930.

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