Les deux doctrines

bakounine-la-vie-d-un-revolutionnaire-1137558397_L.jpg


La biographie de Bakounine par Hanns-Erich Kaminski, l'auteur de Céline en chemise brune, est un classique. Sa reparution en poche offre un clair exposé sur le personnage et, partant, un très beau point de vue sur Marx également. Quelques très belles pages du livre sont composées d'une comparaison point par point des deux grands hommes de la révolution socialiste au XIXe siècle. Autant dire que la démonstration est intéressante et permet de mémoriser les différences d'approche et de doctrine des deux hommes.
Un échantillon, en attendant la prochaine barricade...

Fils d'un avocat qui descend d'une lignée de rabbins, Marx a les dehors d'un grand bourgeois. Héritier de hauts fonctionnaires et de propriétaires fonciers, Bakounine garde l'insouciance de la noblesse précapitaliste. Marx, marié à une aristocrate, père de deux filles qu'il marie à des partisans de marque, mène la vie laborieuse et tranquille d'un savant ; la misère qu'il connaît lui aussi pèse lourdement sur lui et il fait de grands efforts pour la dissimuler. Bakounine, quoique marié, reste l'éternel étudiant, toujours en ébullition, sans cesse à l'affût de l'action ; l'argent n'a pour lui aucune importance : il le donne ou l'emprunte avec la même facilité. Marx est renfermé, froid, de manières brusques, pointilleux et rancunier. Bakounine est sociable, spontané, d'un abord facile, naïf comme un enfant et en même temps rusé comme un paysan.
Marx est ordonné, aussi bien dans son existence de tous les jours que dans s pensée ; jamais line commence quelque chose sans avoir longuement médité, et quand il prend une position, il ne l'abandonne plus. Bakounine est désordonné, bohème dans la vie comme dans ses idées ; il se laisse guider par les événements, il se fie à son instinct et souvent il subit des influences qui le détournent de son chemin.
Pour Marx, la théorie est au commencement de l'action. Pour Bakounine, l'action précède la théorie. Marx est donc inductif, Bakounine déductif. Marx est réfléchi, Bakounine est inspiré. Marx déteste le système capitaliste, parce qu'il trouve sa forme de production trop anarchique. Bakounine le hait, parce qu'il le trouve trop peu anarchique. Marx vise l'ordre, Bakounine l'harmonie. Marx rêve de gouverner, Bakounine de détruire. L'élément de Marx est l'organisation, l'élément de Bakounine la liberté. Marx exècre tout ce qui est chaotique. Bakounine adore dans le chaos une force créatrice. Le génie de Marx est dans son étroitesse. La grandeur de Bakounine sort de ce les Russes appellent "une nature large".
L'un vient de la ville, et l'usine set pour lui le laboratoire où l'avenir se prépare. L'autre vient de la campagne, et la terre reste pour lui la grade productrice de toute richesse. Aussi Marx n'a-t-il foi que dans les ouvriers, tandis que l'espoir de Bakounine est dans les paysans. Pour Marx, la révolution naît de l'industrie qui crée le prolétariat et l'oblige à l'association et à la solidarité. Pour Bakounine, la révolution est une force élémentaire et autonome que le prolétariat peut seulement déchaîner (...).






Hanns-Erich Kaminski Bakounine. La vie d'un révolutionnaire. — Paris, La Table ronde, "la petite vermillon", 406 pages, 8,70 €

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page