Anarchie partout

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Ce qu'on apprécie chez Stéphan Huynh Tan, c'est son air de ne pas s'en mêler - de rien - tout en allongeant quelques magnifiques paires de soufflets à l'exégèse banale.
Rien ne sert de répéter sans cesse les mêmes billevesées d'analyses fripées, pensons par nous-mêmes et tant pis si nos commentaires dérangent. Voilà son credo. Qu'on ne s'y méprenne, il n'a aucune mauvaise intention, ne se prend pas pour un vengeur masqué - il ne l'est pas et ne se croit pas de mission. Il lit et se voit habité de clartés qu'il souhaite partager. C'est ce que l'on appelle un critique.

La vie et l’œuvre des grands écrivains sont l'occasion de malentendus que les chercheurs s'évertuent en vain à dissiper. On excuse la presse du public : il est plus commode de reposer sur les légendes que de lire les livres, quand ils on cette épaisseur.
On excuse moins la paresse des érudits.

Lire est bien la clé du mystère. Stéphan Huynh Tan, le marin-lecteur a donc pris l'habitude de la navigation en solitaire sur un rafiot à l'ancienne (marine en métal) d'où crépitent de temps à autres des messages rien moins que sibyllins. Le radio est farouche mais ses billets d'information sont clairs et nourris. Il a abordé dans Anarchie en France, en Allemagne et en Savoie, des lectures commentées des vies et oeuvres d'Ernst Jünger, Stendahl-Beyle, Gobineau, Xavier de Maistre. On y croise aussi Toussenel, la mort d'Eschyle, le piétinement des files d'attente des bureaux réservés aux chômeurs, avec dames rousses pleines de répartie, la guerre bien sûr et, plaisir de gourmet, les commentaires esthétiques de Stendhal. Et puis il y a l'antisémitisme de Michelet, le racisme d'époque des uns, les pensées sournoises des autres, leur amour éventuel de la Perse et mille autres considérations d'un lecteur lisant et ne pouvant s'empêcher de lier en bouquet les plus belles pailles de ses lectures avec ses aperçus quotidiens. De la critique nonchalante, en quelque sorte. Avec Jean-Pierre Cescosse, Stéphan Huynh Tan appartient à cette école de dilettantes érudits et prompts à déclarer leurs pertinences, leurs faisceaux de présomptions, leurs avis sur assises, en dehors de la doxa ronronnante. C'est utile, c'est drôle souvent, très intelligent. On ne s'y ennuie pas un instant et l'on aime retrouver un être entier, sans morgue, désireux de plaire à ses pairs et, si possible, à les distraire tout en les instruisant. Voilà comment il et ils font beaucoup de bien à cette matière malléable qu'est la littérature : en y jetant du trouble, du coin, du guingois, un poil de provocation et de la transcendance parfois.

"Les brutaux magnétisent les doux, la massue en impose à la plume. A son tour la massue sera subjuguée, comme dans les jeux d'enfants : feuille-pierre-ciseaux, c'est le carnet de chèques qui permet à l'homme de finances de dominer l'homme de guerre. Gobineau a eu le loisir de ruminer cette révolution lors de son agonie, le 13 octobre 1882, dans le miteux hôtel de la Ligurie."




Stéphan Huynh Tan Anarchie en France, en Allemagne et en Savoie. - Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 159 pages, 19,90 €

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