Une loi d'andouille

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La loi et les moeurs.

A travers librairies et bazars parisiens à la recherche du livre-journal
Une loi, que j'appellerai scélérate, force les écrivains, les artistes, peintres, musiciens, sculpteurs, enfin tous ceux dont la profession est dite libérale, à tenir un registre de comptabilité tout comme les marchands de nouilles.
Quel génie il a fallu à quelque législateur gâteux pour imaginer un système aussi propre à martyriser de braves types incapables par nature à se plier à ces prétendues légalités !
Si, à la place de ces bavards, ne comprenant rien à l'Art et aux artistes, nous avions des représentante des corporations, on ne confondrait pas aussi facilement Epicerie avec profession libérale et Commerce avec création de l'Esprit.
Comment voulez-vous qu'un artiste puisse tenir un registre de recettes ?
Vive la Bohême, que diable !. Et puis, en plus, il faudrait trouver ce sacré livre-journal.
J'ai couru tout Paris, on m'a présenté des cahiers de toutes les couleurs, cartonnés, reliés ou brochés. Tous s'adressaient aux commerçants. et pour cause.
Pour terminer, j'arrivai dans un bazar, où une délicieuse blondinette me proposa, comme livre-journal, un joli petit cahier d'enfant tout rose.
— Ce n'est pas cela que je désire, mademoiselle, c'est un livre-journal pour les professions libérales.
La petite vendeuse fut aussi ébahie que si je lui avais parlé en chinois.
— Quoi ! Qu'est-ce que vous voulez, vous vous moquez de moi ?
— Mais non ! mademoiselle, c'est la Loi.
Alors, la petite me répondit furieuse :
— Cette loi-là, c'est une loi d'andouille. Et ne continuez plus à vous moquer du monde.
Je prends acte de la réponse d'une gentille vendeuse de Paris et je l'envoie au créateur de la nouvelle loi. Mais qui délivrera les artistes de cette nouvelle gehenne : le livre-journal ? Et s'ils ne le tiennent point ou mal, va-t-on ressusciter l'Hôtel des Haricots (1) ?

Serge

Comoedia, 27 janvier 1934.


(1) L'Hôtel des haricots, au XIXe siècle, est le fameux réceptacle des étudiants nécessiteux, puis des artistes réfractaires à la chose militaire lorsqu’il devient la prison de la Garde nationale. Les plus grands y sont passés, depuis Sue et Balzac...

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