Albert-Jean figure de proue

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Figures de proue

Albert-Jean

Il a le visage comme un œuf, avec le crâne qui pèse sur les yeux et la pointe du menton en équilibre sur la cravate ; mais cet œuf couve de belles choses qui deviennent, tous les ans, poèmes, romans ou pièces. Albert-Jean, Catalan nerveux, figure de prouve pour quelque tartane, a des yeux d'arrêt : ils ne sourient guère, mais ils regardent ; leur naturelle froideur cache beaucoup de bonté, une grande délicatesse, des émotions qu'il est bon de garder orgueilleusement pour soi. Il y a un poète derrière ces yeux-là, celui de La Pluie au printemps, qu'aimait Henry Bataille ; celui du Passant du Monde, plus bridé, peut-être, dans sa volonté de contrôle sentimental.
Albert-Jean a fait aussi de belles réussites dans le roman : La Dame aux écailles fut une heureuse formule où le fantastique s'associait aux éléments modernes ; La Ville de Joie, étude de caractère à travers une histoire d'amour ; La Vallée de Larmes, une œuvre profonde, où la sécheresse volontaire de l'écrivain plie sous l'émotion. Le prix Pierre-Corrard couronna ce livre sans lui donner tout le lustre qu'il méritait. Derrière l'Abattoir, ce roman poignant et sombre des auxiliaires, n'a pas non pus été loué comme il convenait : mais cette épopée de la déchéance humaine, ce drame où étaient stigmatisés certains crimes inexpiables de l'arrière, était bien fait pour effaroucher la veulerie satisfaite de ceux qui ne veulent rien savoir.
C'est un farouche, et sa défiance est grande de ces milieux où la stratégie littéraire veut qu'on paraisse à jours déterminés. Je crois qu'il n'a jamais assisté à un banque de gens de lettres. Ce serait presque un titre de gloire ; mais, entre la poire et le fromage, avant que la littérature n'entre en action, il est on, paraît-il de se montrer aux camarades. C'est le "Ne m'oubliez pas" de la corporation. Albert-Jean veut, sans doute, se faire oublier, et il garde pour les siens la petite fleur bleue.
Il a pris, heureusement, un solide contact avec le public des théâtre. Le Sursaut, à l'Odéon, est resté au répertoire. Ses livres restent aussi dans la bibliothèque de ceux qui les ont lus... C'est parce qu'on a envie de les relire.

Jean-François.


L'Ere Nouvelle, 13 mai 1924.

Albert-Jean Derrière l'abattoir. Couverture de Sem. Préface du Préfet maritime. - Talence, L'Arbre vengeur, coll. "L'Alambic", 176 pages, 13 €



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