Metcalf pour comparer

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Alors que l'Hexagone bruisse des candeurs acheteuses de tissu et de papier - il paraît qu'un livre a été imprimé ce mois-ci - on va bientôt pouvoir mesurer le hiatus qui existe entre la littérature et le commerce de livres. Le laps ne sera pas long, on nous le promet : La Contrée est sous presses, elle arrive aux alentours du 8 février.
Ce surprenant roman de Ben Metcalf qui n'est pas peuplé de hobbits mais bien d'Américains, est une volée de bois vert lancée sur les conventions par un esprit libre à la plume bien accrochée. Foin des hypocrisies et des insanités du monde présent, passé et à venir. Fini le discours lénifiant sur la terre salvatrice, fini les tartes à la crème de la culture officielle, idem pour sa version populaire d'une Amérique bénie sur une terre divine servie par un peuple sacré. Avec Ben Metcalf, la littérature c'est autre chose, comme dirait l'autre. C'est mieux.
Pour être tout à fait clair, et en tirant légèrement sur la comparaison comme sur l'élastique, on dirait bien que l'on va découvrir là le Thomas Bernhard américain : brutal, tranchant. Il est de plus un véritable ironiste qui fabriquerait ses phrases comme un Audiberti. Franchement, on ne se demande ce plus sur notre île de quoi seront nourris les jours qui viennent. Vous allez en entendre parler, bien sûr, du grand mensonge agraire de Thomas Jefferson et de la vie dans le comté imaginaire de Goochland.%% Nous n'allons pas tout déflorer encore, mais voici toujours un bref résumé proposé par l'éditeur : "Les parents du narrateur décident de quitter la ville pour s'installer en Virginie. Dans la province rurale reculée du comté de Goochland, la survie de la famille dans une baraque délabrée devient un véritable combat face à la réalité des pins chétifs, des délinquants sexuels racistes, des prêtres à la dérive ou encore des adolescents scabreux."
Citation :

Mon père, peut-être sensible au fait que son arrière-grand-père avait été tué d'un coup de corne par un taureau de l'Illinois peu désireux d'être asservi, et frappé par la misère qui résultat d'une telle erreur de jugement, ne nous mit pas immédiatement en relation avec les vaches, ce pourquoi je lui suis reconnaissant. Pas plus qu'il n'acheta de tracteur potentiellement voué à le couler sur place avec de le broyer, ou moi, sous son poids, comme c'était arrivé à sa mère, qui avait survécu, et à un ou deux garçons du voisinage, qui en étaient morts. Cela dit, il n'en avait pas les moyens. Une moissonneuse-batteuse, tel le colossal engin qui grignota les jambes d'au moins l'un de ses anciens camarades de classe, et dont le reste du repas se trouva mis en suspens pendant "des heures" grâce à la seule force de l'épaule du garçon, qui craignait que l'entrée ne suivît le hors-d’œuvre, était, fort heureusement, encore moins dans ses moyens. Les quelques animaux dont nous nous équipâmes ne meuglaient ni ne beuglaient mais se contenaient d'aboyer et de caqueter, et le peu de machines que nous nus procurâmes, la plus part étant de banals outils prêtés par ou volés à des chantiers de la région, de Richmond, ou bien acquis avec la plus grande réticence auprès de la coopérative des États du Sud dans la triste centrale du comté, ne nous servirent pas tant à exploiter la ferme qu'à créer l'illusion d'une ferme, celle-ci étant depuis longtemps détruite.
Nous fûmes soutenus dans cette entreprise par la maison elle-même, qui avait été construite, n'importe comment, au milieu du XIXe siècle, et semblait sur le point de s'écrouler, ce qui n'était pas qu'une impression. Mon père fut finalement contraint de fourrer des crics pneumatiques sous son côté sud (la bâtisse lorgnant le couchant d'un air languide) de manière qu'elle ne s'effondrât pas totalement en nous tuant dans nos lits.


Ben Metcalf La Contrée, un roman américain traduit par Séverine Weiss. - Paris, Post-Editions, 8 février 2019, 356 pages, 24 €


Illustration du billet : couverture temporaire du volume.

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