En marge de Cachées par la forêt : Le Bosquet des poétesses (1900), ou la gamelle d'Émile

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S'il est utile de rechercher où ont bien pu passer les oeuvres littéraires écrites par des femmes, c'est à cause d'une négligence collective grave et maintenue, nous en sommes bien d'accord. Une négligence que la nommée critique qui a avalisé l'effacement, n'a pas cru bon de corriger. On a les raisons qu'on a, on vit à l'époque où l'on vit, il est souvent difficile de s'extraire de ces gangues.
On en veut pour démonstration le cas du sieur Émile Trolliet...
M. Trolliet (1856-1903), directeur de la Revue idéaliste et poète. se prit innocemment les pieds dans le tapis en 1900 au moment de rédiger son recueil, Médaillons de poètes, 1800-1900 (Lemerre, 1900). Ce livre est une anthologie de poètes du temps dont il est inutile de citer les noms, vous les connaissez tous par contre. L'intéret documentaire de son anthologie est ce chapitre consacré in fine aux femmes écrivant de la poésie.
Trolliet nomme ça un "Bosquet des poètesses" et il n'offre à chacune d'entre elles aucune entrée à la table des matières. Le souverain mépris...
Le plus terrible dans le cas d'Émile est qu'il se croit obligé en préambule de son bosquet d'écrire ces quelques lignes qui l'assassinent pour des siècles. Cela se passe page 403 et cela résume des demi-siècles de pensée critique sur la littérature des femmes.
Merci pour la synthèse, Émile.

Trop souvent, il est vrai, la femme s'adonne ou s'abandonne à des vers d'une facilité déplorable ; elle cultive l'impropriété et la cheville plus encore que l'image et la rime, tellement que si les poètes en ce cas sont du sexe féminin, les poésies sont du genre neutre, et que Lamartine lui-même, si indulgent cependant pour ses admiratrices et imitatrices, mais inondé de leurs élucubrations intarissables, encombré de leurs manuscrits aux faveurs roses, aux rêves bleus, mais aux comparaisons ternes et au style incolore, s'écriait malgré lui : " Le féminine est terrible en poésie." Terrible en effet, mais seulement parce que tant de femmes veulent faire oeuvre de poètes avant d'avoir appris leur métier poétique. Mais celles qui prennent la peine de connaître et de posséder la technique du vers, en pratiquent bientôt le maniement avec autant de dextérité et de fermeté que l'homme. Sans doute, certains genres semblent moins leur convenir que certains autres. Mais si la trame de l'épopée, par exemple, aura toujours je ne sais quoi de trop continu pour ces Pénélopes qui ne sont pas tenaces même en étant fidèles, le tissu de l'idylle ou de l'élégie, sous leurs mains souples et délicates, peut fleurir tour à tour en lis neigeux, en verveines odorantes, en roses sanglantes et éclatantes. Et ce travail subtil de fleuristes idéales n'est pas contraire à leurs travaux obligatoires, puisqu'il peut se faire au foyer. Oui, sans sortir du foyer, sa vraie place, la femme peut entrer dans l'atelier des Muses, et pour elle la poésie semble être un dérivatif sans être une désertion de leur rôle.


On le voit, Émile, fier de braver le tabou et de publier des poèmes de femmes, n'assume pas du tout la honte de sa généreuse attention aux écrits des femmes. Parions qu'il pense que son labeur va être taxer de compromission...
Dnas son Bosquet, Trolliet plaça, il est intéressant de le noter : Rosemond Gérard, Marie de Valandré, Marthe Stiévenard, Vénarie Morlet, l'aveugle Bertha Galeron de Calonne, la baronne de Baye, L. de Montgomery, Antonia Bossu, Marguerite Comert, Madeleine Lépine, Hélène Vacaresco, Noël Bazan, et puis encore l'anonyme auteur de Dans ma nuit (Lemerre), auteur aveugle aussi et aux trois-quarts sourde. Il finit par citer en lot Judith Gautier, Simone Arnaud, Jean Bertheroy, Daniel Lesueur, la comtesse de Noailles, la marquise de Goulaine, François Casale, Aimée Fabrègue, Marie Kryzinska, Frédéric Berthold, Jean Bach-Sisley.
Pour conclure, et à destination de ceux qui voudraient en savoir plus sur Émile Trolliet, il est conseillé de lire la monographie à lui consacrée par Olivier Billaz, c'est-à-dire par lui-même. No comment.

Olivier Billaz Un idéaliste, Émile Trolliet (1856-1903), oeuvres choisies (Paris-Grenoble, Librairie Plon-Librairie A. Gratier & J. Rey, s.d. (1904).

Puisque ces dames, retenues à leur foyer, n'auront pas le temps de broder un éloge de M. Trolliet, on conçoit qu'il se soit rabattu sur le vieil adage : on n'est jamais si bien servi que par soi-même.



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