Monsieur Monsieur écrit à son père

TardieuPereFils191418.jpg





Mon cher Papa,
Je souhaite bien que la « Patrie en danger » n’ait pas besoin ton "oreille courageuse". Je crois bien qu’en ce moment les soldats aimeraient mieux une bonne tripe à la mode de Caen que la triple alliance, en revanche ils auront du bon pain car le fils Ballet est parti hier comme boulanger dans l’armée. La pensée de te voir sous le commandement d’Amiaux me fait bien rire. Goche est caporal à Lyon aussi.(...) J’ai réuni tout ce que je possède comme attirail de soldat : un képi, un corps de chasse, un tambour, un drapeau, mon fusil et une cartouchière. Je me mets tout ça sur le dos et je fais plusieurs fois le tour du clos sans m’arrêter comme Tartarin faisait son « tour de ville » seulement pour un soldat je mange de la confiture ; cela remplace l’"eau bouillie" du héros de Tarascon. Ce matin à peine habillé je viens de faire deux fois le tour du clos en jouant du tambour : je commence à faire un roulement convenable.

La lettre date du 31 juillet 1914. Jean Tardieu a onze ans. Il poursuit :

Je suis bien ennuyé de cette guerre, non pas de taper sur les ALlemands au contraire mais que tu ne puisses pas venir ici, enfin tu seras près de nous cela nous consolera. QUe je serai donc content de donner une bonne raclée à ces Allemands (...) Si jamais les casques à pointes passent un jour à un endroit oùù je serai je te jure bien que si je n’ai pas drames sous la main avec ce que je sais d’Allemand je leur dirai de bonnes injures. Tu vas peut-être trouver que je t’envoie une lettre trop peu affectueuse pour un enfant qui aime son papa beaucoup, mais la guerre m’a tellement surexcité que en pensant toujours à mon papa chéri je ne parle que de la Patrie. »



Double intérêt de cette correspondance : on y découvre l’enfant Tardieu, très émouvant, traçant ses premières lignes à vocation littéraire et l’on lit les lettres formidables de son père, sourd d’une oreille, peintre de talent alors occupé à la section camouflage de l’armée française avec Dufy et quelques autres. Ce père absent particulièrement consciencieux tente d’effacer la distance qui ne peut manquer d’exister entre l’univers de la guerre et le monde civil.

Un très beau volume à ne pas rater.



Victor Tardieu-Jean Tardieu A Quelques pas des lignes. Correspondance 1914-1918. — Lyon, PUL, 260 pages, 20 €



Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/3820

Haut de page