Les mânes d'Einstein

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Lucidité, bonheur, ignorance, absurdité de la vie sociale, il y a de nombreuses occasions de s'ébaudir de l'Homme moderne dans le roman du Slovaque Grendel. Y compris les mânes d'Einstein qui causent directement à son Moi Inégalable - lequel aurait pu intervenir déjà dans un récit Macedonio Fernandez. Passons sur l'Institut fantaisiste où son narrateur travaille, à la recherche de l'anabase semble-t-il, passons sur ses relations avec son épouse dévouée au Parti, il y a dans la fable de Grendel cet arrière-goût sûret que l'on trouve dans les tous récits fabulants de la vie en société totalitaire, jusque dans les expressions de la folie de tous et de chacun.
Sur un rythme allègre, Grendel parvient à raconter l'inanité d'un monde tout en tressant la métaphysique d'un narrateur nuageux, toujours étonné de ce que l'humanité peut produire. Et dans le cas où il croise inopinément une manifestation au sortir d'un confinement involontaire, comment s'étonner de sa difficulté à prendre partie, à choisir entre "eux" et "nous". Mais où sont donc les vainqueurs ?

J'ai appris que le maximum à quoi on puisse prétendre dans la vie, c'est au bonheur des ignorants. Vouloir davantage revient à jouer avec les flammes de l'enfer.
J'étais donc heureux et ignare. Mais sous la surface de mon bonheur, les forces secrètes, tectoniques, de l'insatisfaction oeuvraient, leur puissance d'expansion s'approchait d'année en année du point critique au-delà duquel toutes les apparences explosent. J'essaie de reconstruire et de regrouper les événements dans l'espoir de trouver une explication logique à l'effondrement de ma carrière prometteuse et à celui de mon bonheur. Ma vie s'acheminait dès le départ vers une catastrophe, mais pendant longtemps je ne me suis aperçu de rien. Mon mécontentement n'avais pas de raison précise, je ne l'ai pas pris plus au sérieux qu'un rhume ou que la défaillance temporaire d'un appareil ménager. Ce n'est pas ma vanité qui m'a aveuglé, c'est mon ignorance,. Je ne savais pas encore que la catastrophe engendrait le savoir ; ou qu'elle libérait certains hommes des souffrances dues à l'ignorance. Pas tous, seulement ceux qui le méritaient, qui s'en montraient dignes, c'est-à-dire les plus malheureux, car une catastrophe alourdie par le savoir était le terrain le plus fertile du malheur.




Lajos Grendel Les Cloches d'Einstein. Traduit du hongrois (Slovaquie) par Véronique Charaire. - Ibolya Virag, La Baconnière, 2019, 10 €


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