Les affres de Taupin-Miflu

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Vous ne saviez plus quoi lire après avoir fini A la ligne de Joseph Ponthus ?
Attaquez donc Des écrivains imaginés de Cécile Villaumé !

On nous a fait, trop souvent, le coup de l'écrivain imaginaire pour que cela nous intéresse encore : qui n'est pas capable d'inventer un ludion aux aventures cocasses ? Plus dur est d'inventer l'oeuvre solide qui va avec... On nous a fait, très souvent aussi, entre autres, le coup du pastiche et le coup de l'inédit retrouvé. C'est la loi du genre : quand on aime, on ne compte pas et on en veut toujours plus, quitte à inventer les vers manquants du jeune Cendrars ou les autographes qui font lacune (Caradec did it). On a même des photographies incertaines de Rimbaud retraité (mais toujours pas de manuscrit de Molière !) et, grâce à feu Dominique Noguez on dispose du témoignage de Lénine dans sa période dada. On le voit, nombreux sont les farceurs qui s'emparent de la vie rêvée de l'écrivain - grantauteur autant que possible - pour produire de la prose. La matière est souple, l'investissement léger. Ça ne mange pas de pain. Certains écrivains qui se sentent incertains face à la postérité ou la vibrante vie webnautique procurent du reste eux-mêmes les éléments de la fable pour faciliter les choses (suivez mon regard).
On est donc assez surpris en tombant sur Des écrivains imaginés de Cécile Villaumé. Surpris et très amusé. D'abord parce qu'elle aborde un sujet galvaudé sans frémir, ensuite parce qu'elle fait d'emblée preuve d'une ironie citronnée qui nous emballe. Elle n'est pas lectrice de Bloy et de Muray pour rien. Son allant n'a aucune naïveté : elle a des lettres, nous sert du vocabulaire de paléographe (qui oserait 'opime' aujourd'hui ? un coup à être recalé par Busnel) et maîtrise bien les codes de l'érudition et des atours de la doxa du moment. Surtout, elle a en plus ce grano sali qui fait les gens d'esprit - la dernière partie de son ouvrage le démontre encore brillamment. Quand on a comme elle le goût de la langue (et de la grammaire), l'art du biais et du quant-à-soi, en plus du don de l'observation, comment le passer sous silence ?

"L'Ecrivaine sait bien qu'elle n'est pour rien dans ce processus. C'est comme si l'oeuvre s'autoengendrait. A peine a-t-elle tracé quelques lignes sur la page que le sujet mute en COD, le COD en apposition. Alors, le complément circonstanciel s'écartèle, la forme empathique déploie ses rets, la proposition incidente arrive à point nommé. Des conjonctives antéposées accourent. Le lecteur, secoué dans cette prose comme dans le tambour d'une machine à laver, parvient au bout de l'ouvrage sans le comprendre, tout étonné d'être conduit si loin par la grâce de la parataxe dont il a appris à adorer les décrets."

Qu'elle aborde le sujet de la Vologne soumise aux lubies de la pythifiante Duras ou la comptabilité de Charles d'Orléans, Cécile Villaumé nous enchante. Elle sait prendre la biographie du grand écrivain avec la distance d'un Alphonse Allais ou d'un Renard : c'est délicieux et doucement pamphlétaire. Une mise à plat était nécessaire, les petits détails font sens désormais. Et si cette moqueuse ne respecte ni la Louison révolutionnaire, ni les tics conjoncturels de l'université (ah, les affres de Mme Taupin-Miflu...), et particulièrement pas l'écriture inclusive, c'est vrai, son propos contient toujours cette part de vérité historique qui nous frappe dans les petits faits vrais, lorsque le nimbe de gloire est atténué.
La lumière trop forte écrase les nuances... Voici donc Pergaud et Proust comme vous ne les avez jamais vus ni lus, Dostoievski, Kleist, Conan Doyle (recommandant Bonnot, qui fut son chauffeur automobile lors d’un séjour parisien, c’est avéré), Antoinette Deshoulières, Ionesco, Dolto, la mécanique subtile (?!) d'un festival de poésie en région autrefois industrielle (moteurs à piston rotatif), les dernières heures de la digne Manon Rolland, Colette découvrant la vie, Paul Morand ou Mallarmé, qui n'utilise les mots qu'au quatrième sens que leur affecte le dictionnaire... Tout ça est apocryphe, mais qu'est-ce que c'est drôle ! Jusqu'à l'apothéose de ce dictionnaire des idées (esthétiques) reçues placé in fine pour nous expliquer comment parler des monstres de la littérature. Le passage est chaudement recommandé.
Au bout de cet éloge sans retenue, une conclusion s'impose : Cécile Villaumé devrait poursuive en réinventant la littérature de notre époque. Peut-on décemment l'en prier ?

Cécile Villaumé Des écrivains imaginés. - Paris, Le Dilettante, 2019, 223 pages, 17,50 €

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