Littérature et publicité (1927)

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La question est à l'ordre du jour depuis quelques semestres. (On se souvient par exemple du volume quasi fondateur des éditions Gaussen, Littérature et publicité, paru en 2012.) Les colloques se multiplient, on rapetasse et on découvre mille petits faits (plus ou moins vrais).
Aujourd'hui, voici le discours auto-justificatoire de Louis Brun, grand mamamouchi de la maison Grasset après son sémillant patron, responsable de l'esquif lorsqu'il tanguait sous la pression du pétillant moustachu.
Notons chez Louis Brun, cette phrase délicieuse, qui prouve que rien ne change jamais, et en particulier la mentalité des gens de lettres, cette citation à mettre en exergue :
"A l'heure où les difficultés de l'existence se font sentir pour l'intellectuel plus que pour tout autre,"
Oui, à cette heure-là, louons les mânes du Commerce. Il se pourrait que se soit retrouvé dans ce discours moderniste temps - qui découvrait et la machine à écrire et une nouvelle occasion de faire de l'argent - Louis Chéronnet dont les articles de cette époque, réunis dans La Publicité, art du XXe siècle (La Bibliothèque, 2015), montrent bien qu'il était confortable de penser que la publicité, enfin, allait changer les choses.
Bientôt la crise de 1929 allait mettre tout le monde d'accord, à commencer par les éditeurs qui venaient de subir une crise du papier (1919) et n'allait pas tarder à comprendre ce qu'était la mondialisation des échanges. Financiers en particulier. Mais laissons la parole à Louis Brun.



Littérature et Publicité

Que n'a-t-on dit sur les prix littéraires ! Les uns sont pour, les autres sont contre, sans bien savoir souvent pourquoi. Mais cela n'empêche pas que chaque année nous .en apporte de nouveaux. Il faut croire, si l'on en juge par cette floraison, que ces prix ont leur utilité,. puisqu'ils résistent à tous les assauts.
Ce à quoi l'on ne pense pas assez, c'est qu'un prix peut être autre chose qu'une récompense. Jusqu'ici on les a vu couronner une œuvre entière, ou encourager les débuts d'un jeune écrivain. Il arrive parfois que certains viennent trop tard, d'autres tombent à côté.
Mais, mon intention n'est pas de critiquer, je désire en venir à ceci : A l'heure où les difficultés de l'existence se font sentir pour l'intellectuel plus que pour tout autre, n'y a-t-il pas dans la littérature le moyen d'y pallier ? Il est une force exploitée à l'étranger et dédaignée, même méprisée en France : la publicité.
Un texte publicitaire est presque toujours discrédité. Nous ne savons pourquoi. Qui dit «publicité », dit « réclame », c'est-à-dire une chose équivalant à la parade d'une baraque de foire. Cette idée préconçue dans la pensée du public français est une erreur. Faut-il dire, encore une fois, que l'Amérique nous donne une leçon ? Dans ce pays, la publicité est considérée comme de l'information ; et n'est-elle pas cela avant tout ? Il faut avouer que nous sommes souvent heureux de trouver dans un journal ou une revue telle adresse utile ou telle photographie d'un objet dont on a besoin.
Pour mettre la publicité à sa place, il y aura peut-être beaucoup de difficultés à vaincre. Mais, tant que cela ? Je ne le crois pas. C'est plutôt -que, jusqu'alors; l§. question a toujours été mal posée. Les peintres nous ont déjà devancer.
Est-il besoin de citer parmi les meilleures affiches de ces trente dernières années, celle de Toulouse-Lautrec ; la première œuvre de Steinlein n'a-t-elle pas été une affiche pour une marque de biscuits ? Et, plus près de nous : Albert Besnard, Van Dongen. Sans oublier que certains peintres, grâce à cette exposition permanente de la rue, se sont révélés de véritables artistes : Chéret, Grün, Willette, Capiello, etc. Ils n'ont pas rougi de mettre leur signature au bas de ces œuvres publicitaires, sachant très bien qu'ils signaient leurs traits de crayon ou leurs coups de pinceaux. Ils ont su seulement se plier aux désirs du commerçant, comme d'autres se plient aux désirs du marchand de tableaux et comme certains auteurs aux suggestions de leurs éditeurs.
Ce fut pour beaucoup d'entre eux, la possibilité d'oeuvrer, sans avoir l'ennui causé par le besoin absolu du « second métier » qui rend si difficultueuse la production de l'homme de lettres. On pourrait citer des noms : X. est employé de bureau ; Y. est dans l'administration ; tel autre est commerçant, agent d'assurances, etc., etc. Il leur reste bien peu de temps pour se consacrer à la littérature qui est, cependant, l'objet principal de leurs préoccupations et de leurs ambitions.
Or, justement, la publicité si décriée, parce qu'incomprise, ne donnerait-elle pas à l'écrivain ce que donne l'affiche au dessinateur ou au peintre ? Vanter les charmes d'une robe, en parer une jolie femme, décrire un paysage parcouru dans une bonne voiture, raconter comment se chassent les bêtes dont les peaux couvrent nos élégantes, est beaucoup plus œuvres d'écrivains que de commerçants.
Ayant exposé à plusieurs auteurs, et non des moindres, ma pensée à ce sujet, certains m'ont suivi avec enthousiasme, mais à ma question précise : « Voulez-vous écrire une brochure pour X., couturier ? » la réponse a été celle-ci : « Oui, mais si je ne suis pas seul à le faire. » Ainsi donc, c'est cette timidité, cette résistance qu'il faut vaincre.
Par contre, il est des écrivains qui n'ont pas marqué cette hésitation, entre autres Joseph Delteil me répondait : « Mais oui, un écrivain peut faire de la publicité comme tout le monde. Je n'accepte pour les écrivains aucune diminution, aucune castration. Certains s'imaginent à tort que, pour être un bon écrivain, il faut se raser la tête et se couvrir la poitrine de cendres. »
Nos pères,, chantant des chansons à boire, ne faisaient-ils pas de la publicité pour les vins ? il ne manquait que le nom du vignoble et encore il y était souvent.
Par contre, il y a évidemment bien des littérateurs qui, à priori, ne seraient pas de cet avis. Mais, crois que si la question leur était bien posée, ils verraient les avantages qu'elle représente et l'honnêteté d'une publicité basée sur des mérites réels.
Quant aux commerçants, aux industriels, croyez bien qu'ils seraient très satisfaits de voir l'esprit et l'imagination venir à leur rencontre pour une propagande oui dépasse souvent de très loin leurs intérêts particuliers.
Depuis longtemps j'avais pensé à cela et compris mieux la nécessité de la mise en lumière de cette idée, par le projet que me soumettait récemment mon ami Lemeunier, directeur de l'Encartage, cet organisme qui, depuis -un an, a déjà permis à la publicité d'entrer en liaison avec la littérature.
Il s'agit justement d'un nouveau prix destiné à faciliter cette liaison.
Son importance : 30.000 francs, lui fait tout de suite prendre la première place et ce n'est pas là une idée en l'air. Ce prix vient d'être fondé avec la Revue de la Femme, q u i l'annoncera officiellement dans son prochain numéro.
Il doit être décerné au meilleur texte littéraire de publicité choisi par un jury composé, à la fois d'écrivains, de commerçants et industriels et de techniciens de publicité.
Pour moi, inutile de dire que j'applaudis des deux mains à cette initiative. Et - il serait curieux, maintenant, d'avoir l'avis des auteurs qui sont, eux, les premiers intéressés.

Louis Brun

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Paris Soir, 28 janvier 1927

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