Lotissement de Marguerite Grépon

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En préparant une intervention pour le colloque Des revues et des femmes qui se tiendra les 28 et 29 prochains (programme ci-joint), le Préfet maritime rapetassant ses notes redécouvre ce petit papier de Marcel Arnac, placé en une de Paris-Soir, le jour où paraissait sur la même page l'extrait qui suit de son "Lotissement", fameux ouvrage conçu par la jeune femme d'une manière très originale. Nous en parlerons mercredi

Marguerite Grépon
Connaissez-vous Marguerite Grépon ?
Non, n'est-ce pas ?
Mais vous connaissez Mlle X... et Mme Z..., femmes de lettres. Et pourtant ! Prenez l'œuvre de ces dames-pour-distribution-de-prix littéraires et condensez-la. Vous en tirerez quoi ? Un petit comprimé...
La jeune oeuvre de Marguerite Grépon est toute en comprimés : pas une phrase de ses livres (dont nul, ou presque n'a parlé) qui ne soit à méditer, qui ne soit à monter en épigraphe et à piquer dans les cerveaux. C'est que cette jeune fille passionnée, qui travaille loin des petites intrigues et, méprise « les gens qui font joujou avec la littérature », a quelque chose à dire...
Après Le courage d'être vraie et Le beau voyage' interrompu, voici qu'elle vient de donner Lotissement, dont Yvonne Schultz a pu dire : On lit des in-octavo sans conserver le souvenir d'une seule ligne... Entrez dans ce Lotissement : cent, deux cents formules spirituelles vous arrachent ces mots « Comme c'est vrai ! » et vous n'oublierez plus le nom de Marguerite Grépon. Ce nom deviendra. célèbre. Cette jeune femme est une nouvelle Marie Bastkirsheff, elle a un visage d'enfant, mais sa pensée rejoint parfois à travers les siècles, par sa profondeur et sa netteté coupante, celle de Pascal et de La Rochefoucauld.
Yvonne Schultz a raison. « Pensées alertes, battant des ailes, incisives, lucides, cruelles », elles honoreront, un jour, les Manuels. On découvrira Marguerite Grépon.
Souhaitons qu'on ne la découvre pas trop tard, et qu'avant qu'elle se décourage, la Gloire lui rende sans tricher, la monnaie de toutes ces sommes d'esprit qu'elle jette par les fenêtres, si magnifiquement...
Marcel Arnac.




lOTISSEMENT

Le plaisir est souvent le demi-deuil du bonheur.

Les gens qui disent : « N'espérez rien de la vie, vous ne serez pas déçus a, feraient aussi bien de prêcher : « Ne respirez pas, vous n'avalerez pas de microbes » !

On n'est jamais obligé d'écrire sur un petit carnet les rendez-vous avec les gens qu'on aime.

Il y à dans la vie, comme dans les salles d'attente bondées, des gens qui attendent le bonheur assis, et d'autres qui l'attendent debout.

La douleur engraisse, car les soupirs obligent à des respirations profondes qui aident l'assimilation.

Le cœur s'emplit plus vite de douleur que de joie, selon le rapport qui veut un gramme de teinture pour faire prendre les couleurs foncées, et dix grammes pour faire prendre les couleurs claires.

Ce n'est pas l'inconduite qu'on reproche à la femme, mais l'insuccès dans l'inconduite.

Une femme n'en veut jamais à un homme qui déchire sa robe pour la posséder plus vite.

Le cœur est la seule conscience des femmes.

Une jeune fille se tiendrait fort bien dans le monde, si elle avait un amant.

Les femmes ne plaisent aux hommes que par leurs défauts ; et l'erreur des féministes est de vouloir leur plaire par leurs qualités.

On confectionne une jeune fille avec des matériaux qu'on appelle : qualités ; et on la vend avec la même monnaie qui sert à acheter le sucre et le fromage.

Il n'y a pas plus de vertus inébranlables que de pauvres volontaires.

Il est regrettable, pour une jeune fille qui a la peau fine, d'en faire profiter des moustiques et pas des hommes.

Epouser un homme riche qui n'intéresse pas, c'est s'installer dans un wagon de première classe qui ne quittera pas la gare. Ne vaut-il pas mieux un beau voyage en troisième classe ?

Il faut beaucoup plus longtemps pour effacer une tache que pour la faire.

Les. qualités morales ne donnent pas un joli teint.

On voit la poussière qui reste, on ne voit pas celle qui a été ôtée

De l'admiration à l'amour, |I n'y a qu'un faux pas.

Entre deux êtres qui viennent de s'aimer physiquement, le silence est une cicatrice.

L'art n'a pas plus à se soucier de la morale, que le commerçant ne doit faire de sentiment dans les affaires.

Les hommes crient que les femmes ne valent plus rien parce qu'elles arrivent à valoir ce qu'ils valent.

Un mari qui a employé des roueries de singe pour cacher une infidélité à sa femme, la lui jetterait presque à la figure pour une question de haricots trop cuits !

Il est difficile de demander à la même femme d'être le jardin potager; et le jardin d'agrément.

Les femmes veulent avoir, dans la vie des hommes, l'importance d'un point, et non celle d'une virgule.

Bien des hommes se marient par horreur du restaurant, et bien des femmes par amour du restaurant de luxe.

Sur la Riviera, quand des curieux s'arrêtent devant une librairie, c'est toujours du côté du papier à lettres, et jamais du côte des livres.

Il y a des gens devant lesquels les trams partent toujours.

Marguerite Grépon

Paris-Soir, 1er février 1927.

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