Zone de Dovlatov II

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Il serait idiot de ne pas donner une seconde couche à notre propos de la semaine dernière. Et une citation par Dovlatov lui-même viendra convaincre, nous l’espérons, les indifférents :

(...) Tout me prédisposait à une biographie soviétique des plus ordinaire.
J’appartenais à une sympathique minorité nationale. Je bénéficiais d’une excellente santé. Aucune passion maladive ne m’habitait.
Je ne collectionnais pas les timbres. Je ne disséquais pas les vers de terre. Je ne construisais pas de modèles réduits d’avion. Je n’éprouvais même pas de goût particulier pour la lecture. Je préférais le cinéma et le farniente.
Trois années d’université ne m’avaient que faiblement marqué. Je les avais vécues comme un prolongement du lycée. En mieux. Ajoutons-y les filles, le sport et un pitoyable semblant d’esprit frondeur.
J’ignorais alors être au sommet de ma prospérité. Tout ce qui devait suivre fut une dégringolade. Déception amoureuse, dettes, mariage... Et pour couronner le tout, je me suis retrouvé gardien de camp
Les histoires d’amour se terminent souvent en prison. Je me suis simplement trompé de porte. J’ai atterri de l’autre côté des barreaux..
Ce que j’ai vu m’a profondément ébranlé.
(...) Moi aussi j’ai regardé par une fente du mur. Sauf que je n’y ai pas vu le luxe mais la vérité.
La complexité et la variété de la vie m’ont secoué. J’ai vu à quel point l’homme peut tomber bas. A quel point il peut planer au dessus des contingences.
Pour la première fois j’ai compris ce que signifient la liberté, la cruauté, la violence. J’ai vu la liberté derrière les barreaux. Une cruauté absurde comme la poésie. Une violence banale comme l’humidité.
J’ai vu l’être humain ravalé au rang de bête. Et j’ai vu ce qui peut encore lui procurer de la joie. Je crois que mes yeux se sont ouverts.
Le monde où je me suis trouvé plongé était épouvantable. Dans ce monde, on se battait avec des limes aiguisées, on mangeait du chien, on se tatouait le visage et on violait les chèvres. Dans ce monde, on tuait pour un paquet de thé.
J’ai vu des hommes au passé cauchemardesque, au présent répugnant et à l’avenir tragique.
Je me suis lié d’amitié avec un individu qui avait salé sa femme et ses enfants dans un tonneau.
Ce monde était atroce. Mais la vie continuait. Je dirais même plus, elle conservait des proportions normales. Le dosage du b ien et du mal, de tristesse et de joie demeurait inchangé.
On y trouvait de tout. Travail, dignité, amour, dépravation, patriotisme, richesse, misère. Ce monde avait ses prolétaires et ses oligarques, ses carriéristes et ses têtes brûlées, ses conformistes et ses rebelles, ses fonctionnaires et ses dissident. (...)




Sergueï Dovlatov ''La Zone. Souvenirs d’un gardien de camp’’. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. — La Baconnière, 190 pages, 14 €


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