Un anti-chef chez les cheffomaques

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A l’heure où les plus cyniques soutiennent avec une violence qui n’est plus idéelle le capitalisme macronique, un juriste, Emmanuel Dockès s’engage sur un terrain littéraire, politique et social que l’on croyait relégué aux oubliettes par le fatalisme et l'aquoibonisme : l’utopie.
En cinq cents pages, il a écrit et publié une utopie, au début du XXIe siècle, avec tout ce que cela comporte d’île éloignée, de voyageur coupé de son monde, d’autochtones aux pensers exotiques et aux surprises intellectuelles. Depuis l’Erewhon de Samuel Butler, on en avait peu lu.
Mais, à la différence d’un Cabet coercitif ou d’un Campanella bercé trop près des encensoirs et brûlé par les rayons du soleil, Dockès a pris le parti de mettre sur le papier ses idées sur ce que pourrait être un monde sans chef, une misarchie.
Comme l'expectorait autrefois quelque punk à principes : plus de chefs, plus de curés, plus d’armée... Et, pour commencer, plus d’Etat : le système politique d’Emmanuel Dockès, ensemble de briques limitant les pouvoirs trop larges et structurant la société en ensembles de communes et d’associations librement fédérées. Finies les pyramides hiérarchiques, fini l’Etat, bienvenue la liberté. Son personnage de Français égaré en terre misarchique, arborant son sac à dos vert au long de ses pérégrinations, découvre au fil des pages des modes de fonctionnement qui aboutissent à ce que devrait être une démocratie véritable, et non le système inégalitaire et violent que nous connaissons, quoiqu’en pensent les niais.
Emmanuel Dockès s’est fait remarquer lors des discussions sur la loi El Khomri visant à la limitation inique des droits des salariés. Lui et son groupe de recherche pour un autre code du travail avaient des propositions pour partager l’emploi plutôt que le chomage (Proposition de code du travail, Dalloz, printemps 2019), pour supprimer le capitalisme plutôt que la liberté d’entreprendre, bref, pour construire une société sur des bases saines, justes, et... efficaces. L’association des bonnes volontés est préférable à la confrontation des rapacités, la liberté d’être et de se réunir vaut, nous dit le juriste, cette prétendue rationalité technocratique qui n’est que la litote des rets visibles et invisibles toujours plus nombreux qui nous enserrent. Filet diablement solide et serré que les adorateurs de la technologie et de l’intelligence artificielle vont finir par sentir, puisque les fictions littéraires et cinématographiques n’ont pas eu l’heur de les alerter en temps utile. (Vous reprendrez bien une carte bleue, un téléphone, un compte en ligne ?)

- Si une commune peut être aussi bien un immeuble qu’un quartier, qu’une ville... ce n’est pas très rationnel.
- Tout à fait ! approuve mon interlocuteur fièrement. Aucune rationalité, bien évidemment ! Vous imaginez ? Une organisation rationnelle de l’espace. Et qui serait soumise à la rationalité de qui ? Je vous le demande.

L'expérimentation misarchique d’Emmanuel Dockès mérite une attention toute particulière des habitantes et habitants de l’adolescent XXIe siècle. Ils y trouveront du sens et, peut-être, un sens à leur éventuelle action politique.
Contre le pouvoir, toujours l’Homme doit se dresser, c’est à peu près anthropologique, à moins que ça ne soit éthologique...


Emmanuel Dockès Voyage en misarchie. Essai pour tout reconstruire. — Editions du Détour, 13,90 €, 555 pages



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