- Vous avez supprimé l’argent liquide mais, si j’ai bien compris, vous avez gardé une sorte d’unité de compte. Je veux dire, vous n’avez pas supprimé la monnaie ?
- Bien sûr que non ! sourit Clisthène. On a des comptes de Caisse.
- Ce n’est pas si idiot, intervient Hushaï sentencieusement. — Le voir reprendre ma défense, comme il le faisait auparavant me rassure. — En 1955, la monnaie a été supprimée dans toute l’Arcanie, à la suite d’une grande votation.
- Et alors, risqué-je. Que s’est-il passé ?
-C’était vraiment trop compliqué. Rien que pour se procurer du pain, il fallait se livrer à toutes sortes de trocs. Ca n’e duré que quelques mois, mais, tout de même, on a essayé. Et ce n’était pas la première fois, déjà une tentative avait eu lieu du temps d’Utopus le Dingue.
- Oui, bon, ne fais pas attention, me glisse Clisthène. Hush a été prof d’histoire, et si tu le branches... Enfin, là, si tu veux tout savoir, je viens d’être débutée de quatorze boules. - Quatorze « boules » ? - Oui, enfin, quatorze bigors.
(...) Et c’est quoi le problème avec les pièces, les billets, l’argent liquide ?
- Enfin, mais c’est extrêmement dangereux ! proteste Hushaï (... c’est cette époque ancienne) qui nous fait aujourd'hui craindre toutes les monnaies matérielles, en pièces et en billets. Les boules pouvaient se transmettre dans la plus grande discrétion. C’était devenu totalement incontrôlable. Des organisations criminelles s’étaient développées, des fortunes colossales se faisaient sans qu’aucun impôt ne soit payé ; les chefs de gang, les politiques, les hommes d’affaires, tous les puissant s’échangeaient des valises de boules.
( ...)
Emmanuel Dockès Voyage en misarchie. Essai pour tout reconstruire. — Editions du Détour, 13,90 €, 555 pages