Le lecteur à domicile

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Les mois d’été restant le moment des grandes reprises en main — ou des grands rattrapages —, il est coutumier d’y rencontrer le livre qui était au pied de la pile depuis des mois soudain volubile et sautillant, au point qu’on ne peut s’empêcher de le prendre en main.
C’est chose fait pour ce Lecteur à domicile qui, passant à la suite d’une histoire fort naïve de construction de dictionnaire à la japonaise (La Grande Traversée de Shion Miura) fait le même effet qu’un Saramago après un Modiano, pour prendre un exemple en O : réconfort et transport d’aise.
Le récit n’est pas mené tambour battant, son narrateur est un peu triste et vit une existence peu colossale. Son parcours est celui d’un malchanceux conduit par les événements et la volonté d’autrui qu’un accident de voiture conduit à devoir effectuer des heures de travail d’intérêt général. Dans son cas, la vie semble fait irruption dans sa bulle et le forcer à rencontrer des êtres humains que son statut de fils sans volonté lui avait laisser éviter. Ses heures de lecture à domicile auprès de particuliers le vouent à des relations variées, qui, cahin-caha, l’amène à prendre des initiatives et à ressentir pour ses contemporains des... sentiments.

J’étais le seul responsable de la tournure prise par les événements. J’avais été subjugué par le ton emphatique d’Amalia Resendiz. J’aurais dû refuser quand le couple m’avait demandé la permission d’inviter ses amis à mes lectures. A partir de là, tout était devenu ronflant et vulgaire. Je me rappelai le balbutiement de papa lisant les vers d’Isabel Fraire et me sentis doublement illégitime. Pauvre Isabel Fraire, peu lue de son vivant, maltraitée une fois morte !

Traversé par l’ombre de la poète disparue (et mystérieuse) Isabel Fraire — on se croirait chez Bolano —et son magnifique poème consacrée à la peau de l’être aimé, le roman se révèle plaisant, étonnement vivant et capable de petits sauts de carpe agréablement surprenants. De ces retournements légers qui vous troublent la patiente élaboration du lecteur qui, pensant avoir vu la voûte de l’opus se dresser au fil de sa lecture, trouve régulièrement de légers coudes à la tuyauterie narrative de Morabito, jusqu’à son apothéose, cocasse un peu quoique funèbre.
Aussi prenant qu’un bon polar sans crime, ce Lecteur a toutes les vertus apéritives que l’on peut espérer du roman d’un auteur que l’on découvre : on va maintenant lire Les Mots croisées et puis ''Emilio, les blagues et la mort’’ afin de confirmer l’essai. Pour tout dire, on ne serait pas étonné que Morabito rejoigne un jour prochain Mario Levrero dans le coeur de leurs lecteurs communs. Morabito est un romancier qui emballe délicatement.


Fabio Morabito Le Lecteur à domicile, traduit de l’espagnol (Meique) par Marianne Millon. — Corti, 2019, coll. Ibériques, 224 pages, 20 €

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