Zone de Dovlatov (III)

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Chalamov haïssait la prison. Je pense que c’est insuffisant. Insuffisant pour aimer la liberté. Ou même pour haïr la tyrannie.
La prison soviétique est l’une des innombrables variantes de la tyrannie. Une forme de violence totale exercée sur des individus.
Mais il y a là de la beauté même dans la vie des camps. On ne saurait la décrire en peignant tout en noir.
Selon moi, l’une de ses plus remarquables parures, c’est la langue.
Les normes linguistiques ne sont pas applicables à la réalité carcérale. Le langage des camps n’est pas un système de communication. IL n’st pas fonctionnel.
IL est moins que tout autre chose destiné à un usage pratique. IL constitue un but en soi et non un moyen.
Seul le strict minimum est utilisé pour la communication :
—Le répartiteur te veut voir.
— Moi aussi je le cherche.
On dirait que les détenus économisent les paroles ordinaires. La langage des camps est surtout un phénomène créatif, purement esthétique, de l’art pour l’art.
La vie écoeurante des camps confère à la langue une étonnante expressivité.
La langue des camps est recherchée, savoureuse, ornementale et précieuse. La musicalité de son style rappelle l’école littéraire de Remizov.
Chaque monologue est une aventure. un drame avec un début propre à éveiller la curiosité, une apogée passionnante et un final tumultueux. Ou un oratorio ponctué de poses lourdes de sens, avec de brusques montées du tempo, de reiches modulations sonores et des fioritures vocales à vous fendre l’âme.
C’set un spectacle complet. Un numéro de foire, une action théâtrale, libre et provocatrice.
Le discours d’un détenu expérimenté remplace tous les accessoires de la vie civile. Coiffure, cosutme d’importation, chuassures, crave et lunette. Et même argent, situation sociale, titres et médailes.
Un discours bien posé est souvent la seule arme du vieux zek. Son unique moyen d’influencer son entourage. Le fondement inébranlable de sa réputation.




Sergueï Dovlatov ''La Zone. Souvenirs d’un gardien de camp’’. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. — La Baconnière, 190 pages, 14 €




Illustration du billet : couverture de l’édition La Baconnière rehaussée à l’aquarelle par Draco Semlich.

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