Une certaine réticence à l’embourgeoisement

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Resté au marbre, cet article aurait dû paraître en début d’année. L’excellent travail des éditions du Typhon, très remarqué, justifie que l’on replace le roman de Wain dans l’actualité de l’Alamblog, lequel erre, gyrovague et revient sur ses pas comme il lui sied, c’est bien connu. Et pour l’heure c’est pour évoquer John Wain.

Dans l’immédiat après-guerre, en 1953, l’Angleterre a vécu en même temps le sacre d’Elisabeth II et la parution du premier roman de John Wain (1925-1994), Hurry on down, ou les Vies de Charles Lumley. Il fait aujourd’hui figure de texte majeur d’un groupe de jeunes écrivains réfractaires au monde bourgeois. Une décennie avant que le groupe de rock les Who ne clame les angoisses de sa classe d’âge dans « My Generation », et vingt ans avant l’explosion tonitruante de la « Blanck Generation » (« Génération aveugle ») chantée par les punks Richard Hell and the Voidoids, John Wain ouvrait une première fois la boîte de Pandore d’où jaillirent les désillusions de la « paix retrouvée » dont les promesses s’avéraient trompeuses pour les esprits libres.
« Les jeunes gens en colère », c’est ainsi que John Wain et ses amis écrivains Alan Silitoe, Kingsley Amis, Harold Pinter, John Arden, Colin Wilson et John Osborne ont été nommé par la critique dès la publication de leurs premiers livres, sur la base d’une expression utilisée par le pédagogue Leslie Allen Paul dans son autobiographie de 1951 et du texte d’Osborne, La Paix du dimanche (« Look Back in Anger », 1956). Un réalisme sans concession et la dénonciation de la « reproduction » des classes dominantes via l’université conduisaient ces jeunes auteurs énergiques et pleins de hargne à déclarer la guerre à la société libérale. Hurry on down fut l’une des pierres de touche emblématiques de leur combat commun.
Le roman au tempo très vif fait le portrait trouble de Charles Lumley, un jeune universitaire réfractaire à la vie mondaine et au capitalisme, un farouche individualiste arcbouté sur son refus des compromissions avilissantes. Dans une même critique des valeurs traditionnelles de la société britannique et de la civilisation moderne dont le « progrès » ne le leurre pas un instant, le narrateur de Wain te goûte pas exagérément la béatitude promise aux sujets obéissants de Sa Majesté. Malgré son niveau d’éducation, il n’ajoute plus foi au modèle de société promu par les élites que ses diplômes universitaires lui donneraient le droit de fréquenter. De tempérament sauvage, mal à l’aise dans un monde dont la violence lui paraît exorbitante, il choisit de disparaître des lieux où jusqu’ici s’est déroulée sa vie de jeune homme. Rompant avec ses amis, à l’exception d’un apprenti écrivain bohème et sa compagne prostituée qui le logent quelque temps, il devient laveur de carreaux dans une ville éloignée de Londres afin de n’être pas reconnu et se complaît à une vie sans désir ni perspective. « L’argent, toujours l’argent. Partout le même filet, la même toile d’araignée installée au centre de sa toile. Lui et Froulish étaient des mouches, mais Froulish n’y attachait pas d’importance. Il continuait à mépriser cordialement l’araignée alors qu’on lui arrachait les ailes, qu’on le dévorait. »
De mésaventure en accident, Charles Lumley constate cependant que les avanies de son parcours sont dues à cette neutralité qu’il a choisie. Et puis « Des choses étranges se passent. » D’ailleurs, sa philosophique existence prend définitivement fin lorsque l’amour le somme de pourvoir aux sorties de sa maîtresse huppée. Il se lance alors dans le transport de drogue, un petit trafic qui le force à prendre de gros risques et manque lui coûter la vie. Le risque a déplacé le curseur de son contentement et de son rapport au monde, mais il n’a pas guéri son malaise… « Il était du côté de Froulish tapant sur sa machine dans son grenier, de Dogson qui se faisait tuer pour un article sensationnel, même d’Ern condamné à dix-huit mois de prison et de M. Blearney qui montait des spectacles en province. De son côté, il y avait des gens déséquilibrés, déplaisants, ratés, grotesques, mais on restait vivant, on produisait une énergie, une force. »
Construit comme un film nerveux de la Nouvelle Vague avec accélérations soudaines et arrêts sur image, le roman de Wain est un parfait témoignage d’un temps de trouble aigu traversé d’espérances sourdes, d’un temps où l’amertume et la mélancolie forment une ronde perfide. Servi par une plume remarquable qui entremêle formules brillantes et traits assassins, le roman place son auteur au rang des meilleurs observateurs de la société libérale, bureaucratique et industrielle qui émergea avec la pax americana. Trois ans après la parution d’Hurry on down parut le fameux Look Back in Anger, le roman de John Osborne devenu le porte-drapeau des « Angry Young Men » en fixant les termes de leur manifeste. Les vertus du roman de John Wain le placent naturellement à ses côtés d’autant qu’il incarne manifestement l’un des premiers actes littéraires de résistance au libéralisme de l’après-guerre, malgré son annonce fataliste d’une défaite annoncée. « Le paysage avait tout du guide touristique le plus bête, mais, en fin de compte, inutile d’essayer, de résister, on était pris. »



John Wain Hurry on down, traduit de l’anglais par Anne Marcel. — Marseille, Editions du Typhon, 309 pages, 18,90 €



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