Psychostrophes

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Sous la magistrale oeuvre de Yakoi Kusama, « Dots Obsession. Infinity Mirrored Room" (1998), l’anthologie des Ecrits stupéfiants mise au point par Cécile Guilbert dépasse tout ce que l’on avait pu connaître jusqu’ici en France (1).
Tout à la fois pharmacopée et bibliothèque portative, son volume replet est aussi un pandémonium où tous les égarés de l’addiction se sont donné rendez-vous. Et ils sont si nombreux depuis toujours — naturellement Baudelaire n’était pas le premier extasié de la substance — qu’on peut en rester un peu abasourdi. Burroughs en paraît tout effacé...
Après nous avoir rappelé l’usage thérapeutique de la thériarque qu'ont pu sans mal y voir défendant des personnages aussi divers que Savoranole, Ronsard ou RIchelieu, Cécile Guilbert plonge avec Arthur Conan Doyle, Robert Desnos, Théo Varlet le continuateur de Baudelaire en matière d’analyse des effets du haschich, Aldous Huxley, Agueev, Freud, Michaux, Artaud, Gottfired Benn ou Pitigrilli et leur coco, dans le monde stupéfié des consommateurs de substances illicites qui ont défrayé plus ou moins la chronique ou témoigné de leurs voyages en terres limitrophes mais lointaines, rapportant parfois de ces endroits étranges leur auto-évaluation ou le souvenir d’êtres chers perdus corps et âme.
Parmi les cas extrêmes, il faut souligner la gourmandise aigüe de certain, conduit par leur curiosité systématique comme l'ahurissant James S. Lee, par leur poly-dépendance et ce fut le cas d'Hans Fallada ou par leur monomanie, comme ce fut le cas pour Lorrain tellement éthéromane que son cadavre, exhumé au bout de quelques années de cimetière pour un transfert de tombe, avait apparu intact aux fossoyeurs estomaqués... Notons à propos de cette gourmandise le menu composé par un quidam s’achevant dans l'étonnants fruits glacés à l’éther (cités par René Schawblé). Les spécialités point trop gastronomiques ne manquent guère dnas les Ecrits stupéfiants... Au détour d’une page, on tombe même sur Jules Verne, qui s’adonnait lui aussi à la "fée grise" puisque, blessé par l’arme à feu de son neveu qui tentait de l’abattre, il gardait des séquelles et des douleurs de l’assassinat raté... Ici Edouard Dubus, là Stanislas de Guaïa, plus loin Jack Kerouac et puis ce mystérieux Marcel Mallat de Bassilan (1852-19??), employé de la Bibliothèque nationale et romancier dont La Comtesse Morphine de 1885 reste non seulement le premier roman français consacré à la morphine, mais aussi une sorte d’acmé "de l'horrible et du monstrueux » (Arnould de Liedekerke).
Pour ne pas déraper dans l’étonnant, qui prolifère néanmoins en ces pages, Cécile Guilbert s’est proposée de conduire ses vaillants soldats de la défonce selon un plan étroitement surveillé. Son cadre de classement étant strict comme une étagère de pharmacie, il est aisé de retrouver les différentes familles de stupéfiants aux doux noms. Dans son magasin rouge, vous trouverez toutes références aux Euphorica (calmants du système nerveux : opium, morphine et héroïne), Phantastica'’ (hallucinogènes : cannabis, plantes divinatoires, peyolt et mescaline), ‘'Inebriantia (ivresses spécialises : éther et solvants), et, pour finir, ‘'Excitantia'' (psychostimulants : cocaïne, crack, amphétamines, Ecstasy et nouveautés diverses). Gare à la surdose...
Où l’on constate que le XXe siècle fut assurément celui de la chimie. Au-delà des pesticides et des perturbateurs endocrinaux, il est aisé de constater en lisant tous les témoignages réunis à quel point les drogues se sont élaborées et diversifiées depuis les années 1880. A l’heure du crystal meth (2) et autres ignominies, on en regrette presque l’époque des champignons et du LSD, d’autant que les addicts du crystal ont fort peu de chances d’y trouver une muse avant le cimetière... Usuel d'histoire littéraire, anthologie thématique, le travail de Cécile Guilbert est aussi impeccable que captivant et apporte une foule d’informations d’ordre esthétique, en particulier lorsque sont abordées les conditions de mise en oeuvre de l’écriture sous substance. Les substances, ces « carburants de la modernité », nous dit l’anthologiste qui nous pousse à imaginer que, peut-être, il ne serait de création vraiment révolutionnaire sans molécules nouvelles... Souvenons-nous qu’on a détecté il y a peu des traces de haschich dans les peintures de Jérôme Bosch...
Pour ne rien gâcher à la somme, il peut être important de signaler que les voyeurs y trouveront eux aussi de quoi grignoter en apprennant à quoi carburaient Pessoa ou Sartre et Beauvour, et même quels produits consomment nos contemporains Sollers ou Bibi-Nothomb...
Pour l’heure, le Préfet maritime se gave de pages et en fume.
T’en veux ?



(1) On pense à Jean-Louis Brau et à son Histoire de la drogue (Tchou, 1968), par exemple, ou à l’anthologie opiacée de Arnould de Liedekerke (La Belle Epoque de l'opium, La DIfférence, 1984, rééd. 2001). Sans compter (Merci Guillaume Zorgbibe), dans un autre genre de publications, les Altered States : The Library of Julio Santo Domingo, an unprecedented insight into the effect of drugs on life, politics and popular culture, le livre de Peter Watts consacré à la collection de JSD, collectionneur visionnaire qui rassembla plus de 50 000 pîèces relatives à la drogue, au rock'n'roll, à la magie et à l'érotisme.
(2) Méthamphétamine (N-méthyl-amphétamine), drogue de synthèse sympathicomimétique et psychoanaleptique, pour le moins. Une tueuse malgré ces adjectifs presque sympathiques.




Cécile Guilbert Écrits Stupéfiants. Drogues et littérature de Homère à Will Self- P., Robert Laffont, "Bouquins", 1440 pages, 32 €

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