Ici seulement nous sommes uniques

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Un seul livre vous frappe, et la rentrée littéraire resplendit...
Par une bizarrerie digne des meilleurs films à suspens, il nous avait échappé que Christine Avel avait publié ses premiers livres au Dilettante, puis au Seuil et à l'Ecole des loisirs. C'est bien la preuve que l'ignorance est mère de toutes les bonnes surprises. Pour la simple raison, ô raisonneurs, que la découverte de la prose de Christine Avel, causée justement par le pas-savoir, nous vaut, et c'est là que tout devient salement immoral, un grand plaisir. Un plaisir reporté depuis des années, d'autant plus fort que ce roman est très beau.
C'est tellement vrai qu'après avoir lu Ici seulement nous sommes uniques, la commande de ses trois livres précédents a été passée. Mais il n'y a guère besoin de preuve : le simple survol de quelques pages en librairie vous donnera derechef l'envie de posséder ce petit quadrilatère bleu comme la mer Egée et dense comme une enfance enchantée répétée chaque été sur une île grecque, en toute liberté. Pendant ce temps, les parents tout à coup débraillés fouillent : ils sont archéologues.

Notre grande affaire est le chantier. Les plantes croissent autour de la maison, les chats se reproduisent, mais le seul décompte du temps est celui des fouilles: progression des carrés, numéros des tessons, ordre des publications. Si nous grandissons (nous en doutons parfois), c'est à leur seul rythme. Ainsi nous savons qu'Evi est née l'année des premiers sondages du quartier Nu, que le toi de plastique protecteur a été posé pour les neufs ans de Zac.

Remuantes figures du chantier d'été, les enfants ont la fierté de participer, parfois, à ces travaux de spécialistes, très valorisants puisque les touristes, qui commencent à faire irruption, n'y ont certainement pas droit. D’ailleurs le grand jeu des gosses est de les chasser nuitamment...

Nos puzzles ont plus de dix mille pièces et dorment encore sous terre : les tessons si fragiles ont résisté tous ces siècles, brassés en surface par le soc des charrues, bousculés par les sabots des ânes, et nous les récoltons comme des fruits mûrs.

Avec une économie et une grâce rares, Christine Avel signe un très beau livre sur l'enfance qui devient adolescence et voue les enfants à une évasion hors du temps béni de "l'âge d'or du chantier".Des gosses, qui, prenant le large, délient leurs liens.
La langue de Christine Avel, qui fonctionne comme une petite brosse à réveiller saynètes et sensations d'autrefois, forge des images originales et fortes, sur un rythme doux, comprenant jusqu'aux silences compromettants et aux rires revenus d’outre-temps. Mû par le personnel bigarré du camp - où la sexualité plus apparente que jamais, comme toujours en été, est évidemment un tour de Pan destiné à la compagnie enfantine - ce livre qu'on dirait écrit par une descendante de Kenneth Grahame (Jours de rêve), de Louis Pergaud ou de Christiane Rochefort réunis parvient à un équilibre délicat, serein, amusant et beau. Avec Ici seulement nous sommes uniques, il est difficile de ne pas sentir qu'un auteur aimable est en marche.



Christine Avel Ici seulement nous sommes uniques. - Paris, Buchet-Chastel, 2019, 251 pages, 16 €



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