Adrienne Monnier n'aime pas la musique de Maurice Roche

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Lecture des Epiphanies (1)
par Adrienne Monnier

Voici donc ce livre attendu à la fois par ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre les Epiphanies au moment de la représentation. Les uns et les autres vont enfin pouvoir examiner les textes, confirmer ou infirmer leur jugement. Je suis de ceux qui, dès la première soirée, se sont déclarés partisans avec enthousiasme. Sans doute une grande part de mes bravos allait-elle aux acteurs, tous admirables, Gérard Philipe en tête — qui semblait, comme l’a dit justement un critique, l’auteur même de la pièce. Avant de passer au livre, je veux évoquer les représentations. Je suis allée trois fois aux Noctambules et deux fois aux Ambassadeurs. Les séances des Noctambules étaient vraiment extraordinaires ; je crois bien n’avoir jamais assisté à quelque chose d’aussi bouleversant. On y sentait naître et s’affirmer une force nouvelle, une poésie qui est sans doute celle de la jeunesse d’à-présent. Tout aux Noctambules servait l’œuvre : la pauvreté et l’exiguïté du local étaient amies, comme le bœuf et l’âne. La musique passablement idiote et faiblement tapageuse qui préludait aux actes s'effacait complètement devant le verbe et, d’une certaine façon, le mettait en valeur. En tant que repoussoir, elle était parfaite. >C’est curieux, dès les premières notes, tout le monde comprenait qu’il n’y avait pas à faire silence, qu’on pouvait parler, et même qu’il fallait parler et suivre sans se gêner ses préoccupations du moment. C’était de la musique d’ameublement, comme Satie et Milhaud avaient voulu en faire autour des années vingt. Ameublement de salle d’attente, dirons-nous. Le sentiment d’attente, la vague angoisse qu'elle exprimait n’était pas inutile. Cette musique subsistait aux Ambassadeurs, mais elle était servie enregistrée, alors qu’aux Noctambules deux pianistes ayant chacun leur piano, s’évertuaient à la faire entendre. Il paraît que le compositeur (qui s’appelle Maurice Roche) leur avait simplement donné les grandes lignes cl dit de broder. A l’origine, sa partition était écrite pour douze instruments, mais les moyens manquant pour exécution, il dut la réduire à la hâte. Et voilà pourquoi sa tille était presque muette. (...)



Le Mercure de France, 1er décembre 1948.


(1) Les Epiphanies, fameuse pièce d'Henri Pichette (1948).

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