La Danse devant l'arche

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Les éditions La Coopérative ont de l’audace : elles rééditent l’oeuvre d’Henri Franck, un jeune poète disparu en 1912 à l’âge de vingt-quatre ans.
Son principal recueil, La Danse devant l’arche fut publié l’année de sa mort par les jeunes éditions de la NRf avec une préface d’Anna de Noailles, double indice de qualité.
Comme Radiguet le sera plus tard, Henri Franck avait été accueilli à bras ouverts par la communauté intellectuelle. Henri Bergson était l’ami de sa famille. Lui-même était doué assurément et sa disparition priva très certainement la littérature de quelques pièces que ses seules premières pages pouvaient laisser imaginer. Un malicieux pastiche de « Barrès en Auvergne » laisse entendre, du reste, qu’Henri Franck eût pu être, aussi, un essayiste et un critique.
On lit dans le volume composant ce que l’on peut considérer désormais comme ses oeuvres quasi complètes quelques articles, des lettres et les témoignages de ceux qui l’ont connu. Et se sont souvenus de lui longtemps : en 1925 la Chronique des Lettres françaises de Joseph Place lui consacrait encore des lignes émues.
Il faut dire que Franck avait été touchant et actif. Après l’affaire Dreyfus, il s’était défini comme un juif et comme un intellectuel. Il avait revendiqué cette judéité sans faux-fuyant, comme en témoignent ces poèmes définitivement tournés vers Jéhovah et prenant leur source dans la danse de joie de David devant l’Arche d'alliance. Mais il n’était sans doute pas un mystique : élève de Frédéric Rauh, il avait été l’un de ces défenseurs de Charles Andler qui évitèrent que ses cours soient sabotés à la Sorbonne.
Soigné au sanatorium de Durtal où il reçut la visite de Valery Larbaud, Henri Franck est mort prématurément de la tuberculose, alors que les rédactions de L’Effort’', de ‘'L’ïle sonnante'’ et de la NRf'' avaient décelé chez lui l’écrivain en devenir.
Deux ans plus tard, l’hécatombe certes pas divine qui enflammerait les cieux d’Europe allaient enlever beaucoup d’autres jeunes espoirs de la littérature, de l’art, de la création. La disparition d'Henri Franck aura été comme un avertissement


Discours sur les misères du temps présent

La discorde est assise au centre de la ville
Et souffle avec fureur dans un clairon faussé
Le Parlement est sans vertu et sans pensée ;
Les propos y sont bas, les mains y sont avides
Et l’on n’y connaît plus Tacite et Cicéron ;
Les blêmes hobereaux mutilent les statues
Et jettent des cailloux sur les vieux magistrats ;
Les bourgeois dont des fils sans courage et sans livres ;
Ils n’ont pas d'enthousiasme et pas d’austérité,
Pas de forte culture et pas de goût solide
Et ne sont plus nourris dans les humanités
Les paysans n’ont pas beaucoup d’enfants robustes
pour fournir les dragons, la ligne et les chasseurs,
De peur d’être soldats leurs garçons se mutilent
Et ils deviendront fous d’avoir bu trop de cidre,
On tracasse les gens quand ils vont à la messe
Et les instituteurs étroits et dogmatiques
Violentent les enfants qui saluent le curé
(...)
Les prêtres, par surcroît, sont tenus d'obéir
aux cagots des châteaux dont la foi les appointe
pour bénir l’équipage avant la chasse à courre, Au journaliste athée et pourtant catholique, Qui a dévotion expresse au Sacré-Coeur, Qui voudrait procurer le salut de la France Par le Pape infaillible et le roi absolu, Qui se réjouit de voir, arrosée par sa verve, Pousser la fleur de lys sur le fumier des Halles, Jean Racine acclamé par les garçons bouchers, Et les jockeys des bars, recrutés pour des sommes, interrompre en braillant les cours de la Sorbonne.
(...)
Le théâtre est stérile en pièces pathétiques,
Et les acteurs y ont le pas sur l’écrivain.
% Les professeur ne sont plus clairs, libres, modestes,
Mais pleins de cuistrerie et pleins de vanité,
Brouillons ambitieux, factieux politiques,
Qui s’ennuient d’enseigner dans les lycées français,
Aux garçons dégourdis les éléments des choses
Préférant publier après longues recherches,
De gros livres sans choix, sans intérêt, sans ordre,
Et toujours consacrés à de petits sujets ;
Le pays n’accroît plus n’étend plus sa vie ;
On n’a depuis longtemps construit aucun bourg neuf, (...)


En somme, toute une époque.



Henri Franck La Danse devant l’arche. Préface de Jean-Yves Masson. — Paris, La Coopérative, 336 pages, 22 €


Illustration du billet : Henri Franck assis aux côtés d’Anna de Noailles à Vevey.

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