Préface d'une vie

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Une grosse campagne de presse avait suivi l'impression de Préface d'une Vie, de Fernande Féron (1898-1981), jeune espoir de la maison Flammarion qui misa beaucoup sur elle en ce début de 1930. Francis Ambrière en rendit compte dans Les Nouvelles littéraires (31 mai 1930), et jusqu'à ce grand dépendeur de Jean Ernest-Charles la clique et tout l'arrière-clique firent résonner le nom de Fernande en cette année-là.
La suite de son parcours fut plus discret, voire inaudible : journaliste au Journal de la Femme, à Femmes actuelles et auteur de livres sentimentaux de peu d'intérêt, elle ne confirma pas le talent qu'on lui prêtait dans un premier temps, ou ne s'en soucia plus...


Préface d'un vie, par Fernande Féron
Voici un livre et un début, tout à fait dignes d'intérêt. La débutante se nomme Fernande Féron : le livre, préface d'une Vie.
C'est l'histoire d'un enfant dit peuple, Emmanuel Rémond, de la douzième à la vingtième année, cette période d'apprentissage - il faut donner au mot son sens le plus large, ou le mettre au pluriel - où l'enfant, effectivement, apprend à connaître les choses et les êtres, découvre le travail, la puissance de l'argent, le désir et l'amour, et aussi, s'il est bien né, je veux dire s'il du coeur, la beauté, la souffrance et la grandeur du monde. Emmanuel Rémond a du coeur. Apprenti ébéniste, puis tourneur dans une usine, nous voyons sa jeune âme s'ouvrir aux aspirations éternelles. Sensile et délicat, avide de comprendre, il travaille, à des cours du soir ; il cherche, obscurément, la vérité. Son sort, et la misère de ses compagnons le touchent ; il éprouve la solidarité des travailleurs, et follement, généreusement, il se mêle au mouvement syndicaliste. Enfin, il aime : Anna, d'abord, la touchante adolescente qu'une mauvaise fièvre emportera : Antoinette ensuite, une compagne rencontrée à l'atelier.
Toutes ces humbles choses quotidiennes et qui paraissent banales, elles s'illuminent pourtant, elles se gonflent de passion, dès qu'elles passent dans l'âme d'Emmanuel. Le grand péril pour Mlle Féron était que ses initiations, ces révélations multiples qui font de l'adolescence une période magnifique et trouble, nous les avons tous éprouvées. Avec un vrai courage, et, de propos délibéré, l'auteur écartait de son livre tout intérêt de fiction, toute surprise romanesque : et elle entreprenait, sachant bien que nous nous connaissions déjà, de nous raconter. en quelque sorte, à nous-mêmes. (Car l'adolescence d'Emmanuel, évidemment entourée de circonstances personnelles, n'est, pas, dans son essence, différente de l'adolescence qu'ont traversée tous les êtres un peu généreux.) Pour donner à son livre quelque richesse, Mlle Féron n'avait donc à compter que sur ses propres qualités d'écrivain. Il faut dire bien haut qu'elle a réussi, qu'elle a su faire, de ce document humain, une œuvre d'art du meilleur aloi.
Ce n'est pas à dire qu'elle ait, du premier coup, rencontré la perfection. Et son livre, encore que d'une « classe » à laquelle n'atteignent point le plus grand nombre des livres de femmes, est loin de nous satisfaire pleinement. Nous portons à Mlle Féron assez d'estime et d'amitié pour ne pas hésiter à la traiter sans indulgence. Ou trouve encore, dans son livre, des faiblesses. C'est ainsi que la disposition ne nous semble pas très sûre : après une première partie magistralement équilibrée, la fin trahit quelque désarroi. Pourquoi ces développements sur M. Laurençon et son fils aîné, personnages épisodiques, quand le livre se tait sur la façon dont Antoinette se décide à quitter Emmanuel ? Voilà qui eût été plus neuf et plus intéressant. Pourquoi donner au personnage de Marcel une telle importance dans les chapitres médians, s'il doit disparaître des pages finales ? Oserons-nous dire aussi qu'à notre sens, le chapitre de la grève manque un peu d'ampleur ? Quant au style, il recèle bien, lui aussi, quelques facilités, quelques expressions peu neuves. Mais il faudrait être bien sévère pour en garder rancune a l'auteur : deux ou trois négligences, une dizaine de phrases un peu plates, ne peuvent pas faire oublier la joie qu on éprouve a voir que cette romancière sait écrire. Elle a du style, et le style est le signe suprême de l'écrivain. Encore qu'elle n'en soit pas encore maîtresse. Mlle Féron, par éclairs, nous montre déjà ce que sera le sien : clair, musical et nerveux. et tout, illuminé d'images dont plusieurs. dans ce livre-ci. sont admirables. Je m'en voudrais de ne pas en citer une. particulièrement belle. C'est un soir qu'Emmanuel s'abandonne sur la poitrine de Clotilde, sur « ces seins trop lourds, fatigués déjà, contre lesquels le chagrin et le désir de tant d'hommes étaient venus s'échouer, et qui, une fois encore, attiraient les déchirantes confidences, comme ces dalles un peu usées des vieux confessionnaux où la contrition se fait plus fervent. »
Tel quel, avec des hésitations inévitables et des gaucheries que tout excuse, ce livre s'avère d'une singulière richesse. Le nom de Fernande Féron est désormais de ceux qu'il faut retenir. - (Flammarion).

Francis Ambrière




Fernande Féron Préface d'une vie. - Paris, Flammarion, 1930.

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