Origine du pastiche

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Origine du Pastiche
On croit communément que le pastiche est un genre littéraire. Il n'en est rien. Le pastiche est quelque chose de beaucoup plus vaste et de beaucoup plus important. C'est un phénomène biologique. C'est une forme du struggle for life.
Mais ceci exige toute une petite démonstration, et une incursion dans le domaine des sciences naturelles.
Vous savez tous ce qu'on appelle mimétisme. Il y a longtemps que les savants ont observé, chez certains animaux, une propriété singulière, qui est de s'identifier, par la forme ou par la coloration de leur corps, soit avec le milieu environnant, soit avec d'autres êtres vivants, bêtes ou plantes.
C'est ainsi que les écureuils ont un pelage d'un rouge brun qui leur permet de se confondre avec l'écorce des branches où ils font du trapèze ;
Que les grenouilles sont vertes comme les plantes d'eau qui jonchent la surface des marécages ;
Que les serpents imitent la forme et la couleur des troncs d'arbres tachés de lumière ;
Que le chameau pastiche avec son dos les ondulations de terrain des déserts où il promène sa mélancolie. Etc.
De nombreux lépidoptères présentent un caractère analogue : par exemple le Bombyx feuille morte, dont le talent d'imitation est suffisamment indiqué par le nom que lui ont donné les naturalistes, ou encore la Pieride aurore qui ressemble, à s'y méprendre, aux rosaces vertes et blanches des ombellifères qu'elle honore de ses visites.
Plus astucieux encore, d'autres papillons s'arrangent pour imiter, non point les fleurs sur lesquelles ils se posent, mais d'autres espèces d'insectes mieux armés qu'eux.
Et ainsi apparaît le but du mimétisme, qui est de fournir aux animaux mimé Usants un moyen de protection en quelque sorte objectif, c'est-à-dire soit de les cacher aux yeux de Leurs ennemis, soit de les faire prendre par eux pour des êtres en état de se défendre ou impropres à la consommation.
Enfin, pour terminer notre série d'exemples, citons le céphalopode et le caméléon, qui sont, au point de vue du mimétisme, les mieux doués des animaux. Le caméléon possède, en effet, la faculté d'enfler et de désenfler son corps, à volonté, sans courir les mêmes risques de crevaison que la grenouille de La Fontaine, ce qui lui permet de ressembler tour à tour à un érysipèle ou à un portemonnaie vide. Les anciens prétendaient même qu'il parvenait, ce qui est le comble du vice, à se faire prendre tantôt pour un chameau, tantôt pour un lion : d'où son nom, tiré de camelus, qui signifie chameau, et de leo, qui signifie lion. Je ne plaisante pas. L'étymologie est une science très sérieuse. En outre, le caméléon, chacun le sait, peut changer de couleur et reproduire dans tout son corps celle du milieu qui l'environne.
Le poulpe possède les mêmes propriétés : plongez un poulpe dans la Mer Rouge, il deviendra rouge ; plongez-le dans la Mer Noire, il sera noir ; plongez-le dans la mer Caspienne, il se convertira au bolchevisme.
Pourquoi ces animaux se déguisent-ils de la sorte ?
C'est pour se défendre. Le mimétisme est une manière de camouflage. L'animal doué de cette faculté a des chances d'échapper à ses ennemis, donc de survivre et de se perpétuer. Sélection naturelle, voir Darwin, Lamarck, etc.
Le mimétisme se retrouve chez les vertébrés supérieurs. Mais alors, il n'est pas toujours purement défensif. Il est parfois offensif.
Il est, défensif chez les chats, qui, la nuit, comme nul ne l'ignore, sont tous gris, afin de se confondre avec les murailles et d'échapper à la casserole du père Lustucru ;
Il est défensif chez le lièvre qui, lorsqu'on le tire, se change en motte de terre : et encore chez le zèbre, qui s'astreint à vivre toute l'année en pyjama rayé, pour que sa silhouette passe inaperçue parmi les vergetures des savanes.
Mais le mimétisme est offensif chez l'alligator qui, au bord du fleuve, s'applique à ressembler aux roches du rivage, et guette sa proie en laissant émerger seule, au-dessus du flot, sa gueule toute pareille à quelque vieux soulier moisi abandonné par un explorateur ;
il est offensif chez l'ours ou le tigre, qui prennent l'aspect pacifique d'une descente de lit, pour mieux surprendre leur victime naïve.
il est offensif chez le politicien, qui passe, selon les événements, du rouge au blanc, ou au tricolore, et s'efforce de ressembler à la majorité, afin de devenir ministre ; il est offensif, enfin, chez «la femme, que l'on voit, sur les montagnes, s'habiller de laines floconneuses et, à la plage, de jersey luisant. La jeune fille aux joues bleues de Chamonix, dans son sweater blanc, est un bloc de neige animée ; la sirène balnéaire, moulée dans sa gaîne scintillante et froide, est un être marin fait d'écume et de sel ; tout cela, c'est du mimétisme offensif ; c'est pour trouver un mari.
Si, maintenant, des êtres organisés nous passons aux littérateurs, nous voyons qu'il y en a qui, comme le poulpe ou le caméléon, occupent leurs loisirs à composer des A la manière de.
Et tout comme pour le mimétisme, il faut distinguer le pastiche offensif et le pastiche défensif.
L'écrivain qui imite le poète à la mode, ou le romancier à succès, qui « fait du Morand » ou du « Valéry" sans le savoir, sans le vouloir, est un pasticheur offensif. Car il n'a d'autre objet que celui de vendre ses livres, ni d'autre talent que celui de nous ennuyer.
Tout autre est le pasticheur volontaire, dont l'activité est purement défensive. Il s'efforce de retourner contre les fausses gloires, contre les parvenus de lettres, les procédés mêmes qui leur ont valu leur succès. \îl leur dérobe leurs propres armes et s'affuble de leur uniforme, pour que le lecteur le prenne pour eux et, riant de la. copie, apprenne à rire du modèle.
Le pasticheur involontaire descend du singe, et l'autre descend du chameau.
Georges-Armand Masson.


Paris-Soir, 29 juillet 1924


Georges-Armand MASSON
Armand Masson. l'un des premiers animateurs du « Chat-Noir » de Salis, avec Jules Jouy, Mac-Nab, MM. Jacques Ferny et Maurice Donnay, l'auteur d'un recueil de poèmes trop modestement Intitulé Pour les Quais mais. qui reste dans les bibliothèques - était le père de M. Georges-Armand Masson. C'est dire de l'écnvain que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui qu'il a de qui tenir pour la finesse de l'esprit. le tact et, dans la liberté la plus enjouée, la parfaite élégance d'une écriture sobre, mais ferme.
Poète symboliste avec La Mille et Unième Nuit, poète en prose avec En habit de Mezzetin, critique littéraire avec trois monographies sur Paul Fort, Madame de Noailles et Anatole France, il a su se montrer critique des moeurs politiques non moins habile ni spirituel avec Soliveau et, enfin, fantaisiste du meilleur goût avec Le Parfait Plagiaire.
Il pense, justement, qu'il n'y a pas de genre littéraire supérieur ou inférieur, mais des artistes inférieurs ou supérieurs dans chaque genre. Aussi accueille-t-il avec le plus grand éclectisme — et la plus grande joie, lorsque le talent s'y révèle — toutes les productions du goût. Qu'un beau vers parle à son esprit et à son cœur et qu'il chante harmonieusement dans sa mémoire, il n'y sera pas balayé par la trombe d'une symphonie à grand orchestre. Il y a de la place pour deux, trois, quatre belles choses, et davantage même, dans son esprit, que touche incessamment la baguette magique de la fantaisie.
La mesure de cet éclectisme. il nous la donne par la liste des journaux où il collabore : La Vie Parisienne, La Gazette du Bon Ton, La Renaissance Politique et Littéraire et L'Information.
On a dit que l'humour est une pudeur de l'esprit. Acceptons, s'il vous plaît, cette juste définition, et ajoutons que la fantaisie est l'humour français.
Gabriel Reuillard.


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