Gombrowicz au naturel

gombrowiczLettres2019.jpg


On peut relire sans cesse le grand et immature Gombrowicz, ses Bakakaï et Ferdydurke et s’en réjouir. Les plus férus prolongent avec son fameux Journal. Mais on a aussi accès, désormais, grâce à son traducteur Mikaël Gomez Guthart, à une sélection de ses ''Lettres à ses disciples argentins’’. Parmi lesquels figurent Ernesto Sabato que la « gloire nationale » polonaise aura l’occasion de préfacer.
Le contexte de ces lettres rédigées entre 1957 et 1969 est connu : invité à participer à une croisière en Amérique du Sud, Gombrowicz s’y trouve lorsque la guerre est déclarée. L’Allemagne envahissant la Pologne, il n’a aucune envie de s’en retourner et reste sur place des lustres. En 1955, il démissionne de son poste d’employé du Banco Polaco pour écrire et moibliser ses alliés, notamment à Paris d’où il escompte une reconnaissance complète. Reconnaissance qu’il obtient grâce à une bourse de la fondation Ford en 1963 et à son installation à Berlin où il reconstitue une vie mondaine en regroupant des pairs au café Zuntz, avec Günter Grass, Peter Weiss, Uwe Johnson, Ingeborg Bachmann, etc.

Imagine bien, dans ta vie terne et privée de la lumière de l’intelligence, que lorsque sonnent les coups de 13h les lundis ou les jeudis, je me trouve au Zuntz entouré de Boches à qui je distribue des sourires. (...)
Bizarrement, le fait que je ne parle pas allemand (en fait je le baragouine) semble exciter les gens et les faire venir au Zuntz.

Quoique bloqué par la « mère Ocampo » et par Borgès, qui l’abomine (1) — et auquel il rend bien son animadversion —Witold Gombrowicz est finalement reconnu. Son talent explose au point que récemment encore Juan Jose Saer ou Ricardo Piglia considéraient qu’il était l’écrivain argentin le plus important du XXe siècle : on le lit alors dans le monde entier. Et les lettres que l’on découvre aujourd’hui suivent sa courbe ascendante autant que ses préoccupations, angoisses et questionnements. En filigrane permanent ou en motifs explicites, les grands thèmes de son oeuvre apparaissent dans les lettres qu’il écrit à ses « disciples », jeunes amis et fidèles supporters : l’exil, la transnationalité, l’homosexualité, le talent et la gloire, le travail aussi, avec, en ligne de mire, sa conquête de Paris, élément-clé de sa reconnaissance à ses propres yeux.
Comme le précise son traducteur, « L’espagnol de Witold Gombrowicz est un mélange d’argot des rues de Buenos Aires teinté de polonismes et d’espagnol à la grammaire incertaine ». N’empêche, on retrouve dans cette anthologie le personnage sans voile, prompt aux rebonds, accroché à quelques-unes de ses angoisses (argent, sexe, santé). Et ses courriers, parfois très drôles, à ses jeunes amis de Tandil, où il est installé, au sud de Buenos Aires révèlent, outre son entourage dévoué, son univers mental dans des moments où la carrière littéraire de ce monstre de la littérature du siècle dernier pouvait paraître à certains fragiles.

L’année dernière j’ai loupé le Nobel d’un rien, cel s’est joué dans la dernière ligne droite entre le Japonais, Beckett et moi, et les débats on été plus violents que jamais. 

Il sera donc rendu grâces à Ernesto Sabato, Grinberg, Di Paola, Gomez, son futur biographe, Betelu, le dessinateur qui arbore ici un nombre conséquent de surnoms, Russovich qu’il interroge sur les conditions optimales d’un suicide, etc. pour leur soutien à ce drôle de Polonais qui savait être important tout en étant amusant et joueur, suprême grâce, fût-elle immature ou « cucul ».

Goma, votre idée de copier des paragraphes de mes lettres et de mes les renvoyer en recommandé avec accusé de réception me paraît brillantissime : rien de plus surprenant que de recevoir son propre courrier en provenance d’Amérique latine. Bien, je n’ose à présent attirer votre attention sur le fait qu’en plus de copier ces fameux paragraphes, vous devriez méditer un instant sur leur sens. Observez, cher Goma, la chose suivante :
Je vous ai écrit : « Goma, ce n’est pas la peine de me faire part de vos répugnances par lettre recommandée avec accusé de réception. J’ai été obligé de me déranger pour aller au bureau de poste. Tâchez de ne m’envoyer en recommandé que la correspondance. »
BIen évidemment, la cé est : « si ces répugnances ont été envoyées comme correspondance, si elles entrent dans le concept de « correspondance » ». Alors, si c’est ainsi, vous comprendrez donc que l’expression « seulement la correspondance » se réfère à une correspondance d’un tout autre genre, à une autre style de correspondance. Laquelle ?
A celle-ci, Goma, qui m’arrive de la rue Venezuela.
Maintenant, si ces dégueulasseries, bien qu’envoyées en recommandé avec accusé de réception, n'ont pas été envoyées comme de la correspondance, alors je dois reconnaître qu’on est dans la merde.

Quant aux amateurs de la littérature « cucul » de W.G., ils sont aux anges, eux, naturlich.




Witold Gombrowicz Lettres à ses discpiples argentins. Tradution de Mikaël Gomez Guthart. — Paris, Sillage, 224 pages, 14,50 €

(1) Et Roger Caillois, fidèle borgesien qui fait échouer la publication chez Gallimard de W. G.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/4302

Haut de page