26 septembre 1968
Quilombloflor (1)
Je dirais qu’il règne ici une ambiance diabolique, deux lampes ne veulent pas s’allumer pour je ne sais quelle raison, face à ma fenêtre, au loin, dans la montagne, il y a une maison vide qui me semble suspecte, en plus le courrier ne m’apporte que des mauvaises nouvelles et surtout des migraines et me fait perdre mon temps. Cela fait deux ans que j’ai arrêté d’écrire parce que tout mon temps est dévoré par mon asthme (repiration artificielle, promenades obligatoires, maladies provoquées par les médicaments, faiblesse, repos, etc;) et par la gestion simultanée de ma gloire et de mes revenus.
Mon vieux, je ne suis pas assez bête pour t’envoyer un cadeau lorsqu’approche ton foutu anniversaire. Tu crois vraiment que j’avais oublié cette date ? Ne pense pas débarquer ici par surprise parce que Je n’ai pas d’argent, ici tout est hors de prix et je ne peux pas laisser tomber Rita qui est une femme jeune et sans moyens. Ma famille en Pologne me dévore aussi mes économies,ils sont tous tombés malades depuis que je gagne un peu d’argent. Tiens bon, après les études il y a toujours un moment difficile, c’est bien connu. Trouve-toi quelque’un avec qui te marier, tu es un jeune plutôt bien et plus intelligent que tu en as l’air à première vue, tu peux dont te marier avec une fille de bonne famille.
Le problème de mes finances se présente sous la forme suivante : je suis en ascension permanente, je devrais donc gagner de plus en plus d’argent. Mais mes livres s’épuisent (...). Si tu en trouves, envoie-moi des coupures de presse, pour ce qui est de La Nacion j’imagine qu’ils essaieront de passer sous silence mon Journal mais ma célébrité grandira de façon souterraine, tu verras. Personne ne m’envoie la presse. (...)
Witold Gombrowicz Lettres à ses disciples argentins. Tradution de Mikaël Gomez Guthart. — Paris, Sillage, 224 pages, 14,50 €
(1) L’un des surnoms de Mariano Betelu.