† Marcel Moreau (1933-2020)

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Un grand écrivain est mort cette nuit.
Celui dont on a dit que la prose torrentielle avait fait craquer de toutes parts les coutures du roman, Marcel Moreau, s’est éteint, fauché par la pandémie. Il était né le 16 avril 1933.
S’il faut cette triste nouvelle pour faire du bruit autour de son nom, qu’il nous soit permis ici de proposer deux citations, l’une récente, l’autre plus ancienne. Elles seront peut-être de nature à intriguer les curieux. Les autres, ceux qui l’ont lu, savent quelle perte nous venons de subir.
Dans l’un de ses derniers livres, A Dos de dieu, il écrivait : «  (...) une petite phrase, née avec mon premier livre dans une anfractuosité du subconscient, n'a cessé depuis de grandir, de proliférer, de s'étendre par martèlements obsessionnels et fureurs paroxystiques aux autres ouvrages et jusqu'en ma vie extra-littéraire. Cette phrase, interminable, inessoufflable, a produit tantôt des pseudo-romans, tantôt d'hérétiques essais. La fiction vise à la connaissance lyrique d'une réalité des tréfonds. La non-fiction s'exténue à mettre un brin d'ordre dans cette connaissance, forcément protéiforme, disloquante et disloquée. Dans les deux cas, je vois d'œuvre en œuvre la petite phrase des origines élever de quelques degrés sa monstruosité, et toujours un peu plus prendre le contrôle de mon existence. Tel est le sens que je me limite à donner à cette aventure, soûlante et noire, ensorcelée entre toutes.» (Quidam, 2018).
Et puis l’on ne peut que se souvenir de Quintes, ou de L’Ivre livre (1), monuments qui ont d’ores et déjà rejoints les rayons de la bibliothèque classique de notre époque.
Né en 1933 dans une famille ouvrière belge avait exercé des petits métiers avant de devenir correcteur de presse à Paris où il habite à partir de 1968. Paru dès 1962 par Buchet-Chastel, son roman ''Quintes’', le fait remarquer. Il a l’attention de beaucoup car ses écrits, à la fois hallucinés et soutenus par un lyrisme et des instincts puissants, rejoignent des interrogations kafkaïennes. Incandescent, baroque, ravageur (2), libérateur, on aura utilisé tous les adjectifs au sujet de ses livres, et on n’est pas prêt de cesser.
Il n’est pas difficile de trouver ses livres, ici ou là car il a été publié par Buchet-Chastel, Gallimard, Christian Bourgois, Denoël, Lettres vives, José Corti, Quidam, etc.

En ce temps-là, les couvertures des livres préférés me faisaient de saliver : j’étais un toutou pavlovien. Ou alors c’était l’oeil du rapace soudain s’allumant : au loin, la charogne étincelait. A leur couleur, au style de leur illustration je reconnaissance ma pitance. C’était Zévaco et ses fines lames, Rocambole, Buffalo Bill, Nat Pinkerton et le Denier des Mohicans. Je lisais plus, certes, mais toujours aussi mal. Pour le reste, je ne m’intéressait qu’au sport. Les seigneurs du cyclisme, de la boxe et du football m’éblouissaient d’exploits. JE n’avais d’héraldique que pour eux.
Au fond, je vivais une enfance de médiocre, trop dépourvue du sens du beau pour contenir l’ombre d’une créativité. Je ne savais pas ce que c’était qu’une valeur. Ma cervelle imneure dormait du sommeil des brutes pendant que mes instincts ou, pour parler avec noblesse, mon hypersensibilité, enregistrait les secousses décisives. J’ai l’impression que le monde se stockait violemment dans mes tripes, mais sans la moindre relation à une pensée d’ailleurs incapable de leur donner une forme. A l’âge où tant d’enfant déjà consignent dans un cahier leurs chagrins, leurs rêvevs, leurs espoirs, je prenais les chocs au ventre à l’insu d’une conscience de port et en parfaite rupture avec une raison à l’état de magma.




(1) L’Ivre Livre. — P., Christian Bourgois,1973. On trouve ce texte, ainsi que Quintes, Sacre de la femme et Discours contre les entraves, dans un volume collectif de Denoël publié en 2005.
(2) Pour les amateurs d’histoire littéraire anecdotique encore : au tableau de chasse de Marcel Moreau, Dominique Jamet, le journaliste-star qui confessa l’une de ses pires expériences professionnelle : une tentative d’interview de Marcel Moreau (Carte de presse. Lettre à un jeune journaliste, — P. Balland, 1996).

PS : nous donnons ici l'Hommage de Raoul Vaneigem transmis le 5 avril puisque, en effet, il va y avoir des enquêtes à mener, des juges à nommer, des comptes et des carrières à examiner.
La vie te salue, Marcel,
Tu n’as jamais cessé de la célébrer et elle te tient quitte de ces oraisons funèbres que la frénésie du profit multiplie avec une hâte redoutable. A la tristesse de ton départ forcé se mêle une rage. Elle aussi se propage et il me tarde qu’elle réduise au silence et balaie de notre vue la tourbe des assassins dont la sottise et la bouffonnerie ne masquent plus l’ignominie. Que l’on te fasse entrer dans le bilan comptable et complaisant des mortalités participe de ce mépris de l’humain auquel les peuples du monde ont résolu de mettre fin. Car tu n’es pas la victime d’un virus, tu es tombé sous les coups de ce terrorisme d’État qui verse des dividendes aux gestionnaires du profit et envoie à la casse les hôpitaux, les écoles, les services publics. Rien ne serait plus ridiculement odieux qu’une justice populiste et vengeresse qui songerait à décapiter des pantins dont les têtes sont interchangeables. En revanche, c’est au nom des libertés de la vie pleine et entière qu’il faut anéantir ces impostures que sont la liberté du commerce, la liberté d’exploiter, d’opprimer, de tuer.
Dors en paix, Marcel, on y arrivera.
En toute amitié,
Raoul

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